Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
grand vaisseau la peur les devançait. Ne sachant à qui obéir, car Lardot et Godefroy, au pied du maître mât, hurlaient des commandements contradictoires, les guerriers, les mariniers et les Génois accomplissaient ce que bon leur semblait, de sorte que l’encombrement était partout, sauf au château d’avant où s’étaient groupés les seigneurs de la guerre.
    « Père est là, parmi eux. Il est vaillant, moi non. Ah ! si seulement je pouvais m’en montrer digne ! »
    Le garçon se renfonça dans son tonneau car Lardot et Godefroy s’en approchaient. Alors, les poings serrés, il entendit ces hommes accablés :
    — Si nous avions des mangonneaux !… Ils en ont, eux.
    — À quoi bon ces regrets. Jean Langlois [64] a fait son possible. Nous allons vaincre !
    — Le croyez-vous vraiment ? Nos gens sur le Denis reculent. Je me doutais qu’ils déblaieraient autour du Christophe et du Saint-Georges avant de les assaillir.
    — Ces deux nefs leur appartenaient. Holà ! toi, La Gourvande, as-tu aperçu Blainville ?
    — Au paradis. Il vidait un hanap… Avez-vous vu ? La Riche de Leure a coulé bas une de leurs grosses coques.
    Les deux hommes s’éloignèrent, poussés vers le château d’arrière par la grande haleine de mort qui soufflait sur le navire où un homme s’exclamait :
    — Ah ! ça y est… Le Thomas nous aborde !
    Il y eut un choc. Le Christophe craqua, sursauta. Ogier repassa sa tête hors de son gîte : deux nefs anglaises, à la proue et celle qui se maintenait à tribord, interdisaient à jamais les manœuvres. Leurs mangonneaux commencèrent à cracher des pierres grosses comme des jambons, mais les navires se touchaient trop : les projectiles s’entrecroisèrent par-dessus bord, arrachant au Christophe ce qui restait des drisses et haubans.
    Deux marins s’arrêtèrent à proximité du tonneau :
    — Tête-Noire est parti avec ses galères.
    — À tribord, il y a cinq naves par le fond.
    — Ils ont des plongeurs armés d’esserets.
    — C’est quoi ?
    — De longues tarières, et ces coquins ont assez de souffle pour percer les carènes. Viens, Raimbaut, quittons cette nef !
    Ogier, le couvercle maintenu de guingois sur son crâne, hasarda sa tête hors du tonneau.
    — Seigneur, êtes-vous donc en faveur des Goddons ?
    Les bordages, les bossoirs, les échelles des navires d’Angleterre grouillaient de guerriers prêts à sauter, et cette engeance avide de tuerie braillait et gesticulait dans un étincellement de métal.
    — C’en est fait de nous, grogna le jouvenceau. Ils sont vingt fois plus…
    Tout d’abord composé de seuls cris humains, le vacarme se cuirassa des stridences des trompes, des cornets et des tintements aigus des nacaires. Puis des tambours frappés à coups de poing ajoutèrent leur bourdonnement à l’orage, et tout à coup, comme un essaim de frelons, les Anglais s’abattirent sur le Christophe.
    Apre, inégal, le combat à main commença.
    On s’insultait sans se comprendre, on se huait et se hélait avant de croiser le fer. Des haches tournoyaient, des fers claquaient, des boucliers tombaient. Les tranchants d’épée s’émoussaient en jetant des étincelles, et réduisant ces heurts à un innocent cliquetis, il y avait au-dessus de ces hommes en mêlée, cette immense voussure de plaintes, d’invectives, de hurlements jaillis des bâtiments voisins où la bataille développait ses haines et ses férocités.
    Ogier résista au désir de replonger dans les ténèbres. Et pourtant, il eût voulu être petit, mieux : invisible. Il avait beau serrer son perce-mailles, cette lame, maintenant, lui paraissait futile. Une épée, fût-ce la Durandal de Roland ou la Joyeuse de Charlemagne, n’eût pas amoindri ce sentiment cuisant, atroce et affligeant, qu’il était en péril de mort. Il grelottait, gémissait, incapable de déterminer sa conduite, mais imaginant, tout proches, les ahans de son père, de Guillaume et de Blanquefort. Ils ne pouvaient rien contre cette marée meurtrière ; l’honneur, cependant, les condamnait à se battre jusqu’à leur dernière parcelle d’énergie. La hargne et l’horreur des combattants touchés qui, en s’affaissant, s’égosillaient parfois plus que les autres, il les percevait aussi. Le tonneau était devenu perméable à toutes les douleurs, et sa vie à lui, Ogier d’Argouges, semblait soudain quelque chose de dérisoire. Les surcots, les plastrons de fer lacérés

Weitere Kostenlose Bücher