Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
de nouveau tourné vers le large :
    — Ces démons n’en ont guère pour longtemps à nous atteindre.
    Précédé de ses balinghiers alignés sur un seul rang de trente, et leurs voiles gonflées à éclater, l’ennemi, à moins de trois cents toises, cinglait sur la flotte de Philippe VI. Ces nefs de pointe, pavoisées de bannières ponceau, amarante et jonquille, et dont les étraves, pareilles aux poitrails des chevaux de bataille, étaient bardées de fer, crachaient feu, flèches et dards. Le rostre de l’une d’elles éperonna la carène d’une galère de Barbanera. Ogier entendit le cliquetis des avirons brisés, le craquement des membrures rompues et les plaintes des hommes de bonne voglie [59] engloutis par les flots bouillonnants. Il fut près de se boucher les oreilles, mais c’eût été déchoir ; il y renonça.
    — Eh bien, voilà ! dit Godefroy d’Argouges. Nous allons nous trouver bientôt dans la mêlée, sans pouvoir bouger tant nous sommes enchaînés les uns aux autres… La belle ouvrage !… Et le bel amiral qui nous a conduits là !
    Furieux qu’on eût coulé une de ses galères, Barbanera dirigeait la sienne vers une petite nef en retrait des autres.
    — Il va la défoncer, dit Godefroy d’Argouges.
    — Cela semble certain… Mais que fait-elle si esseulée ?
    Blanquefort s’inquiétait pour l’ennemi !
    Ogier, courroucé, se détourna du sénéchal et ne quitta plus du regard toutes ces rames qui frappaient la mer vivement, en cadence, à la façon d’un mille-pattes. Un homme d’équipage prétendit connaître la nef infortunée :
    — Le Rich-Oliver  ! J’en jurerais. Oyez, messires, les cris qui s’en échappent !… Ce sont des dames qu’il contient.
    La galère capitane atteignit le navire. Son éperon pénétra dans la coque, provoquant une voie d’eau que seul un miracle eût pu aveugler. Ogier vit des femmes et des enfants sauter par-dessus bord. Il ferma les yeux et voulut se boucher les oreilles.
    — Viens, fils, dit Godefroy d’Argouges. Barbanera ne fait qu’exercer son métier.
    Le jouvenceau fut entraîné vers la coursie. Son père lui montra un tonneau attaché à l’arbre maître :
    — Il a contenu des harengs ou des sardines. Pendant que tu dormais, je l’ai pris dans la soute et monté avec Guillaume. Viens t’y musser.
    — Épargnez-moi cette vergogne !
    Ogier frémissait et claquait des dents. D’indignation, non de crainte. À défaut de la voir tout entière, il voulait assister aux prémices de la bataille.
    — Pas là-dedans, Père.
    L’orgueil et l’inanité de son refus lui apparurent aussitôt. Une fois spontanément, une autre à contrecœur, il avait engagé sa parole, et plutôt qu’obéir, il se rebellait.
    — Têtu, broncha Godefroy d’Argouges, tourné vers son beau-frère et son sénéchal.
    — À ta semblance, répliqua Guillaume. Attends un peu : quand il verra de quoi il retourne, il sautera de lui-même en cet asile et s’accommodera de son odeur.
    — Attendre ! s’étonna le chevalier normand. Mais ne vois-tu pas qu’ils sont là ? N’es-tu plus d’accord avec moi ? Où veux-tu qu’Ogier se dissimule ? Dans la carcasse du Christophe  ? Il n’en pourra sortir quand nous bataillerons. Il y risque trois morts : le feu, la noyade ou l’estoc d’une épée !
    Autour d’eux, c’étaient les cris, la précipitation, les appels et parfois les commandements. Les hommes d’équipage couraient sans discontinuer. Certains allaient quérir des armes – arcs, sagettes, vouges, épieux – dans le ventre du navire ; d’autres en extrayaient des paillasses, des couvertures, des sièges, des portes d’armoires : de quoi renforcer les pavesades. Et malgré les menaces et les insultes de Wylard Lardot, les vigies, les gabiers abandonnaient leurs perchoirs.
    — Plus rien à faire là-haut ! dit l’un d’eux en lâchant la corde au moyen de laquelle il était descendu.
    Un autre, écartant de son chemin le capitaine marin, lui conseilla sans égards d’abandonner le paradis pour toujours car l’enfer était tout proche :
    — Voilà où vos dissensions nous ont menés !… Foi de Joël, ça ira mal pour nos goules ! La nef d’Édouard vient droit sur nous !
    Une barge aux armes écartelées de France et d’Angleterre, cimée au sommet d’un mât d’une couronne d’argent doré où flamboyait un soleil, voguait droit sur le Christophe.
    —  Le Thomas ! hurla un homme.

Weitere Kostenlose Bücher