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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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couard que je deviendrai chevalier ? »
    Un souvenir précis traversa sa mémoire et lui tordit le cœur : sa mère surgissant de la porte piétonne et courant après eux, dans la brumasse du petit matin : « Laisse-le, Godefroy ! Laisse-le… Il est encore trop jeune… Par pitié laisse-le. » Il ne lui connaissait pas cette voix déchirante, chargée de rancœur et de désespoir. Ensuite, comme elle sanglotait, son père avait donné de l’éperon : « Au galop, fils… Bon sang, elle n’a pas pour deux sous de courage ! » Et alors qu’ils parvenaient à Coutances : «  Ne me parle jamais de cet abandon, Ogier ! Oublie-le ! » Cette scène, maintenant, il devait l’avoir lui aussi en mémoire.
    « Mère !… Que faites-vous ?… Avez-vous pardonné ? »
    D’ordinaire, penchée sur le garde-corps du perron, elle nouait au coude de son époux un volet de mollequin rouge, broché, que Néel d’Argouges, son aïeul, avait arboré à Hastings. Elle lui supposait des vertus protectrices. Bien qu’elle se déclarât insensible aux superstitions de toutes sortes et qu’elle réprouvât le port de certains phylactères par maintes dames du Cotentin, il fallait qu’elle accomplît ce rite de la manche honorable en usage, surtout, lors des joutes et des tournois. Alors, en regardant s’éloigner son mari et ses hommes d’armes, elle recouvrait son humeur avenante. Il lui reviendrait : messire saint Michel soutiendrait sa vaillance.
    Cette fois, par mégarde ou blâme inexprimé, elle avait enfreint la coutume instituée par elle. Pis encore : elle n’avait pas soufflé sur le plat de sa main le baiser d’adieu dont son preux chevalier ne pouvait s’émouvoir puisque, sitôt franchi la voûte cavalière, il ne se retournait jamais. Elle n’avait pas crié, supplié : « Reviens-moi ! » avant de s’en aller prier a la chapelle.
    — Le Thomas  ! hurla un homme. Édouard est sûrement dedans…
    Le visage tendu vers la faible clarté retenue entre le couvercle et le bord du malestan, le garçon écouta les bruits de plus en plus proches et distincts : cris rauques surgis des nefs d’Angleterre et qui, pareils à des bourrasques, tourbillonnaient sur le pont du Christophe ; sifflements secs et brefs des sagettes ; chants discordants et rudes des chiourmes ramant pour l’ennemi ; fanfares aigres, parfois couvertes par les orages des tambours ; tout cela – les rumeurs torrentueuses et les fers acérés – déferlait sur la nef amirale et les bâtiments voisins tellement immobiles qu’ils paraissaient échoués.
    « Si seulement je pouvais m’agenouiller. Mais non, c’est trop étroit, et d’ailleurs je ne verrais plus rien. »
    Sans qu’il sût s’il devait ce désagrément supplémentaire à son attitude incommode, ou bien au fait qu’il entendait tout sans rien voir ou presque, l’anxiété, dans le corps crispé du garçon, propageait sa fièvre et ses frissons. Que faire ? Demeurer figé, aussi inutile qu’un mort dans ce cercueil renflé comme un ventre d’obèse ? Certes non… En surgir, évidemment. Frayer sa voie dans la male cohue et parvenir à la poupe. Grimper jusqu’au paradis, s’allonger sur son seuil et regarder entre les chanceaux du garde-fou… Cela c’était possible.
    « À cause de leur insistance à me mettre là-dedans, je n’ai pas eu le temps de les prévenir que Blainville adressait des appels aux Anglais. » Là, il exagérait : il n’avait pas vu des signaux, mais un signal. Ce pouvait être une provocation.
    Il décroisa ses bras ramenés devant sa poitrine, et, comme il s’écorchait le revers des mains contre les douves, son exécration empira :
    « Qu’ai-je à faire, moi aussi, des menaces de ce malfaisant ? Ce n’est plus le moment d’y penser, mais une chose est sûre : c’est lui qui nous a menés là. Nous sommes perdus par sa faute, et je dois quitter ce navire alors qu’il en est temps. »
    Fuir !… Lui qui avait rêvé de sauter à l’abordage sur le pont d’un navire anglais… Fuir, lui, le fils de Godefroy d’Argouges ! Lâcheté ou prudence ? Allons, il n’allait pas balancer ! À quoi lui servait-il de demeurer dans cette obscurité puante ? Il y suait plus qu’aux étuves et écoutait comme on écoute aux portes, sans pourtant rien savoir du dehors, ou si peu…
    « Moi, là, comme un hareng en caque !… Plus je me morfondrai dans ce tonneau, plus j’y divaguerai et plus

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