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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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j’empunaiserai la saumure. »
    Le bruit uniforme des combats engagés sur d’autres navires se craquela, puis se reforma et s’accrut, ainsi que l’obsédant frissement des sagettes. Et soudain le garçon sursauta : l’une d’elles s’était fichée dans le haut d’une douve.
    « Bon Dieu ! Au niveau de mon front… Elle n’est sortie du bois que d’un pouce, mais s’il s’était agi d’un carreau, il l’aurait traversé davantage et j’aurais pu être éborgné… Ces démons sont tout proches à présent. » La peur se délaya dans son sang. « Père s’est trompé : je le savais bien, moi, que j’étais en péril ici autant qu’ailleurs. »
    L’immense et féroce terreur qui s’abattait sur la mer envahit tout à coup le tonneau, et de son crâne Ogier en poussa le couvercle. L’air sentait l’étoupe, la poix, le soufre, l’huile, et fumait à tel point qu’il en éternua. Il hésita à sortir sa tête hors de l’abri, car les traits empennés tombaient en grêles serrées, incessantes. Quand il s’y hasarda, les mains crispées sur le bord du couvercle afin de le maintenir au-dessus de lui, il aperçut son père, son oncle et Blanquefort en compagnie de quatre chevaliers normands : Paul de Balleroy, Gauthier d’Évrecy, Louis de Trévières et Lancelot de Longval. Il ne put toutefois les observer longtemps : dans un crépitement si assourdissant qu’il ressemblait à la chute de la foudre, une centaine de pots de terre se fracassèrent sur le pont. Des hommes atteints par ces projectiles ou par leurs éclats hurlèrent, tandis que d’autres, glissant sur leur contenu et tombant, se convulsèrent en appelant à l’aide. Ces récipients pas plus gros que des cruches avaient été remplis de savon mou et de chaux vive. Deux marins sortirent d’une écoutille avec un balai, dans l’intention d’un nettoyage, mais les trébuchets anglais jetèrent alors sur le Christophe des crocs de fer liés à des cordes, tandis que de leurs faucilles à long manche, des hommes à calefourchies sur les antennes d’un vaisseau cherchant l’abordage à tribord se mettaient à lacérer les voiles et à détruire les gréements. Les archers et les arbalétriers tirèrent, et certains churent sur le pont de la nef française où, demi-morts déjà, ils furent exécutés.
    Ogier rentra sa tête dans le tonneau. Le couvercle, en retombant, le replongea dans l’expectative et l’obscurité.
    « Présentement, ils nous dominent, mais quand nos chevaliers, nos écuyers, nos barons entreront en action… »
    À quoi bon empiler les espoirs inutiles. L’évidence de la faillite, son père, son oncle, Blanquefort la portaient sur leurs visages avant l’engagement. Et Tête-Noire. Et ensuite Kieret et Bahuchet affolés par la manœuvre inattendue des Anglais. Plus qu’une désillusion, pour eux : un châtiment. Erreur qui saigne. Jamais ils ne s’en remettraient. Et lui, le fils Argouges ? Il ne savait comment se donner du courage. L’imminence de la bataille, et surtout la crainte que son résultat ne fut fatal à son père, le secouaient de frissons si violents que ses dents claquaient. Non, il ne resterait pas entre ces planches. Il toucha son cœur dont les frappements l’inquiétaient.
    « On dirait que j’ai couru dix lieues sans m’arrêter. »
    D’une façon lourde, animale, il percevait l’épaisseur du ciel bleu, au-dessus de lui, hachuré d’épieux et de traits. Solitude. À quoi bon s’être embarqué pour languir dans ce malestan juste avant la male saignée !
    « De toute manière, je dois partir. Mon dos me fait trop souffrir. Impossible de changer de posture. »
    Il passa un doigt sur le fer de la flèche. C’eût été la mort s’il était sorti au moment où elle s’abattait.
    Il s’enhardit et leva la tête moins pour juger de la situation que pour reprendre haleine. Son regard tomba sur le timonier. En larges coulées coagulées, le sang maculait son cou, le haut de son surcot, et la sagette mortelle tirait un trait d’ombre sur sa poitrine.
    Terrifié, indécis, le jouvenceau se rencogna dans le tonneau. Abondante, exaspérante, la sueur ruisselait sur son front, ses joues, son dos.
    « Tu as peur, conviens-en ! »
    Il demeura immobile, frissonnant, attendant, espérant il ne savait quoi. Une chose était sûre : le temps fuyait. La chaleur gagnait en puissance.
    Il déplaça le couvercle. Les Goddons n’avaient pas encore abordé mais sur le

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