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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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retrouverait-il ? Le fer dont ils étaient couverts ne les condamnait-il pas à la noyade ?
    Le jouvenceau nageait à gestes lents et amples, évitant les éclaboussures, s’arrêtant pour feindre de flotter comme un mort près de couler, car sur les vaisseaux conquis, des archers embusqués harcelaient les fuyards. Quatre hommes s’étaient cramponnés à une roue de gouvernail [71] . En les contournant d’aussi loin que possible, le garçon les vit sursauter sous une volée de traits empennés, puis s’engloutir l’un après l’autre, alors que des cris de joie mêlés aux éclats des trompettes retentissaient.
    — Malandrins ! Ils ont pu toucher ainsi Blanquefort et mon père !
    Le jouvenceau entrevit ses mains. Dans ce bain affreux, elles avaient pris une teinte vineuse. Il n’osa plus les regarder.
    Nager ! Nager toujours ! En haut, à deux toises ou plus selon la taille des navires, c’était la mouvante huée, les vivats de victoire mêlés au bourdonnement des incendies dévorant les voiles ou embrasant les soutes. Après le fer, les Anglais répandaient le feu sur les nefs de Philippe. Et les corps s’abattaient par deux, par trois, muets ou hurlants, parfois avec des ailes de flammes. L’eau rejaillissait sous leur chute, tavelant de sang et de sanie les carcasses couvertes de haubans, de toiles lacérées et d’échelles rompues après lesquelles les estropiés s’agrippaient et échangeaient des coups. Les plus atteints criaient à l’aide, puis l’eau putride envahissait leur bouche, et après un hoquet, ils coulaient, entraînant parfois un compagnon saisi par le haubert ou la ceinture. D’autres, aux plaies bénignes, lâchaient soudain le cordage ou le safran auquel ils s’étaient accrochés et brassaient très fort vers la berge ; mais les sagettes et les carreaux rayaient aussitôt l’ombre où s’effilochaient les reflets de la mer : ils s’engloutissaient.
    Il y avait là des Anglais, des Français, des Génois, des Castillans, et chacun criait ou priait dans sa langue. À certains, le trépas imminent avait enlevé toute haine : ils ne se lamentaient que sur leur sort ; mais leurs voisins s’invectivaient, et ceux qui ne pouvaient ou n’osaient s’entrebattre se crachaient au visage. Seul être intact dans ce cloaque où la marée ballottait les bois brisés, les chairs ouvertes ou tuméfiées, inertes ou palpitantes, Ogier fut accablé par un nouvel accès de découragement : ses forces faiblissaient ; les épreintes qui, sur le pont du Christophe, avaient tourmenté ses entrailles les ravageaient de nouveau.
    « Holà ! songea-t-il tout à coup, méfiance. »
    Glissant contre le flanc d’une nef éperonnée, qui peu à peu prenait l’eau, des gribanes [72] sans mât venaient d’apparaître. Il ne pouvait hésiter sur la race des guerriers qu’elles transportaient : c’étaient des Anglais. Un rameur et un barreur manœuvraient trois d’entre elles tandis qu’au milieu, la flèche encochée, veillaient deux archers debout.
    La quatrième barge, un fustereau, attira particulièrement l’attention d’Ogier. Deux hommes l’occupaient : un marinier, torse nu, et un personnage enveloppé d’un manteau noir. Debout à l’avant, bras croisés, il regardait la côte. Quand il se retourna pour prêter l’oreille aux propos du rameur, le garçon le reconnut aussitôt.
    « Blainville !… Il est tombé au pouvoir des Goddons. »
    Sa jubilation était telle qu’il en avala un peu d’eau. Il la recracha, le cœur soulevé d’un dégoût si affreux qu’il vomit une gorgée de bile.
    « Malfaisant, tu subis ce que tu mérites ! Le responsable de cette boucherie, c’est toi… Enfin, Dieu te réserve un châtiment sévère !… Les Anglais te l’infligeront. »
    Cependant, insoucieux apparemment de sa mésaventure, Blainville considérait son entourage avec cet air de pesant mépris qui lui était coutumier. Et cette morgue, cette sérénité troublèrent Ogier. Un captif devait être ou furieux ou résigné. Pas lui. Il devait être surveillé de près et avoir au moins les poignets liés. Pas lui. On eût dit que, sous bonne garde, il se rendait à une audience. Apprenant ou connaissant l’importance de cet homme à la Cour de Philippe VI, les Anglais lui avaient-ils épargné un traitement ignominieux ?
    À demi satisfait par cette explication, le garçon leva la tête aussi haut que possible hors de l’eau et suffoqua d’étonnement :

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