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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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tranchée.
    Ogier joignit ses mains : « Dieu ! Dieu ! Sauvez-moi ! Faites que mon abri ne bascule pas ! » Il s’était cru fort, endurci, c’était faux. Il ne différait d’aucun autre garçon de son âge, fut-ce un fils de manant. Et quand il vit, abasourdi, une lueur épaisse et lente sinuer, comme une longue chenille, sur le bois de la douve, il n’osa y poser son doigt. Il savait : c’était du sang.
    Un spasme d’horreur le secoua. Il souleva le couvercle et le lâcha tant il tremblait. Le disque de bois roula et heurta l’épaule de l’Anglais défiguré, lequel sursauta et, toujours muet, tenta de se remettre debout. Fuir ! Fuir ! Mais la frayeur qu’il avait cru dissoudre en proscrivant les ténèbres se fit encore plus forte lorsqu’il comprit que le destin du Christophe se jouait à l’instant même.
    — Go ahead ! Go ahead ! cria un homme.
    Édouard III venait d’apparaître.
    « Sa cotte blanche est maculée de sang ! »
    La présence du roi d’Angleterre ne pouvait passer inaperçue, même dans le grouillement couvrant toute l’embelle [66] . De plus, le souverain était entouré d’une nombreuse écuyerie où figurait un porte-bannière. Les grands plis bleus et vermeils de l’étendard agitaient aux souffles du vent les léopards ennemis et les lis d’or usurpés à la France.
    Le roi portait sur sa tête un camail de mailles si fines qu’il semblait une chevelure d’argent. Il était pâle et souriant. Après un mouvement d’hésitation, car on se battait ferme à l’entour, il leva son épée, engageant ses compagnons à l’imiter. Ensemble, ils avancèrent vers le château d’arrière.
    Godefroy d’Argouges venait d’abattre un adversaire d’une formidable estocade. Voyant le souverain, il recula et lâcha son écu pour porter la main à sa ceinture. Son poignard vola, aussi prompt qu’un trait d’arbalète, et atteignit l’Anglais à la cuisse.
    — Le beau coup, murmura Ogier. Ah ! il s’en est fallu de peu…
    Édouard III poussa un cri et désigna du doigt son agresseur. Aussitôt trois Goddons se ruèrent sur le chevalier normand. Sous les yeux terrifiés de son fils, Godefroy d’Argouges, maniant Almire des deux mains si violemment qu’on la voyait à peine, abattit deux guisarmiers, mais le troisième homme, surgissant dans son dos, brandit un fléau d’armes et l’assomma sans qu’il eût pu prévenir le coup.
    Il s’affaissa et ne remua plus.
    « Il vit ! Il vit… Son heaume est solide… Ah ! crapuleux Anglais… Puisses-tu bientôt expier ta fausseté en enfer ! »
    La hargne et la ferveur qui avaient habité le jouvenceau durant ce combat inégal étaient tombées en même temps que son père. La peur réintégra son corps, son esprit, mais elle avait changé d’objet, de dimension. « Il est mort », affirmaient ses yeux tandis que sa raison refusait l’évidence. Et pourtant, le corps de cet homme admiré ne bougeait pas tandis que son vainqueur, un pied sur son épaule, comme il l’eût fait pour un sanglier abattu, saluait son souverain lequel, d’un geste, lui adressait compliment.
    « Sales Goddons ! Si vous l’avez tué… »
    Un sanglot secoua les épaules d’Ogier, et ses mâchoires se crispèrent.
    « Il ne peut être mort ! Pas lui !… Le fer de son heaume est épais et il porte dessous une cale [67] de bourre aussi grosse que mon pouce… Non, il ne peut être mort, mais il me faut m’en assurer. »
    Il s’était renfoncé dans le malestan, furieux et désolé d’en avoir lâché le couvercle. Il pouvait être débuché et occis d’un instant à l’autre. Il frottait rageusement ses mains inutiles et s’aperçut que quelque chose de tiède tombait sur l’une d’elles. Une larme.
    Il se dressa et jeta un regard sur le corps étendu, abandonné.
    « Il n’a pas bougé, mais ça ne prouve rien. »
    Ses pensées avaient un goût amer et terrible. Il était secoué de sanglots, de malédictions. Ses yeux abandonnèrent le gisant pour observer la cohue bourdonnante et vermeille d’où surgissait de temps en temps le hurlement d’un bugle, pareil à celui d’un loup dans la nuit.
    « Sors, Ogier, cordieu !… Peur ou non, il te faut sortir… Va t’assurer qu’il est en vie. »
    Sauver le seigneur de Gratot ! L’arracher, même mort, à ce navire… Comment ? Il devait atteindre ce corps inerte… Et s’il était vivant ? Mais non : à peine l’aurait-il approché et retourné

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