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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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leur déception et de leur colère, ils arrachaient, parfois, des brins d’herbe qu’ils jetaient après les avoir suçotés.
    — Votre neveu est un cœur vaillant, insista Blanquefort. Quand je l’ai retrouvé, il était à bout. Il avait fait l’admiration des gars avec lesquels il avait cheminé. C’étaient pourtant des endurcis !
    Ogier sentit une larme rouler sur sa joue. Il se souviendrait longtemps – toute sa vie peut-être – des dix archers rencontrés un soir au creux d’un boqueteau. « Bon sang ! ce que tu es jeune… Tu étais à l’Écluse ?… Le Christophe !… On s’est bien battu sur cette nef ! » Un nommé Mahieu Chefdeville, ou Quiedeville, lui avait dit : « Viens avec nous. Nous regagnons notre royaume ! » Leur royaume ! Ils en parlaient mieux que les grands seigneurs. Depuis l’Écluse, ils portaient un de leurs compagnons sur une civière composée de branches et de ceintures d’armes : Lorris. Il avait mis deux jours et deux nuits pour succomber à un coup d’épée dans un poumon… Pas le temps de l’ensépulturer. Avec quoi, d’ailleurs, creuser ce sol sec et dur ? Mort pour rien comme des milliers d’autres. Mahieu, capitaine du Saint-Jean de Rouen, n’avait cessé de le pleurer.
    Ogier se leva d’un bond :
    — Apprenez-moi à ostoier aussi fellement [121] que vous, dit-il aux deux hommes ébahis par la violence de son intervention. Je ne vous demanderai jamais rien d’autre.
    — Nous t’apprendrons, dit Guillaume.
    — Tu deviendras digne de ton père… Aussi vrai que je me nomme Blanquefort !
     
    *
     
    Plutôt que de tirer Ogier de ses pensées, le long cheminement lui parut fastidieux. De triste il devint maussade. Les questions qu’il se posait, quand rien n’accaparait son attention, concernaient autant le présent que l’avenir. Le présent, c’était son père. Était-il parvenu à Gratot ? Comment y avait-il été reçu ? N’allait-il pas mourir après tant d’infamies ?… L’avenir, c’était son apprentissage des armes. Quelles têtes avaient les gens de Rechignac ? Et ses cousines, Claresme et Tancrède ? Comment serait-il accueilli ? Une inquiétude sourde, à mesure qu’il approchait du Périgord, tenaillait son cœur.
    « Quel homme es-tu, Guillaume ? » se demandait-il parfois en considérant le dos droit de son oncle, sous ses mailles scintillantes. « Que me caches-tu, dont Blanquefort se soucie ? À qui a-t-il fait allusion près du ruisseau, lors de notre première halte ? »
    Chaque soir, dans l’auberge élue pour le gîte et le couvert, Guillaume s’informait : Que savait-on, céans, des événements de Flandre ? Que se passait-il à Paris ? Philippe avait-il envie de se revancher ? Les hôteliers, les manants et les bourgeois attablés devant un godet de vin ou de cervoise avaient à peu près tous la même grimace et le même geste d’ignorance.
    — Rien ! constatait alors le baron tourné vers son sénéchal, lequel grognait et haussait les épaules.
    Cette nonchalance quelquefois provocante de Blanquefort, le chevalier de Rechignac n’en avait cure ou s’en accommodait : il y semblait accoutumé. Mais les rapports à la fois étroits et abrupts entre ces deux hommes intriguaient Ogier. Unis dans le combat et l’infortune, quelque chose en dehors d’eux les dissociait. Cet antagonisme tantôt léger, tantôt appuyé, ne résultait ni de leurs relations de baron à vassal, ni même de la dissemblance de leurs caractères. Quelle en était la raison ? À mesure que leurs plaies se cicatrisaient, il semblait que d’autres, plus intimes, plus profondes, se fussent remises à suppurer.
     
    *
     
    Après Châteaudun, Blois, Châteauroux, Argenton, le pays, jusqu’alors assez plat, se boursoufla, se crevassa et se couvrit de châtaigniers et de chênes. La route s’y enfonça, gluante et ténébreuse, pailletée d’or quelquefois aux lézardes des frondaisons. Cessant de transpirer sous le harnois de fer dont il se défaisait la nuit pour s’en revêtir à l’aube, Ogier apprécia autant qu’un bain glacé la fraîcheur enracinée là, captive de ces colosses aux torses bruns ou blêmes dont les chants et les appels d’oiseaux n’allégeaient pas la gravité.
    — Garde ta main proche de ton épée, mon garçon, lui recommanda Blanquefort.
    Et Guillaume ajouta :
    — Si quelques malandrins bondissaient de ces ronces et de ces fougères, laisse aller ta jument ;

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