Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
neveu.
    — Hugues est un outrancier.
    Si la voix du baron paraissait enjouée, l’expression de son visage ne cessait plus d’être soucieuse et compatissante. Ogier la lui connaissait : c’était celle des pires moments de la cérémonie de la Broye.
    — J’aime le franc-parler de Blanquefort, mon oncle. Il ne me décourage point. Je lui en sais bon gré au contraire de vous.
    — Tu laisseras en paix ces trois larrons. Tu coucheras ailleurs qu’où ils couchent. Le matin, après les soins aux chevaux, quand vous vous exerciserez au maniement des armes dans la haute cour, je veillerai avec Blanquefort et Vivien.
    — Qui est-il, lui, mon oncle ? Vous en avez parlé parfois, mais j’ai trouvé malséant de vous interroger.
    — Vivien de Podensac est chevalier. Il n’a pu supporter de demeurer en Guyenne auprès des Anglais. Voilà dix ans qu’il vit en mes murs… Il gouverne en notre absence…
    « Ils auraient pu m’informer davantage », enragea tout à coup le garçon.
    Bientôt, il serait entouré d’inconnus. Les uns se montreraient indifférents à sa présence, les autres s’y révéleraient hostiles. Comment agirait-il si Didier et ses deux compères le provoquaient ? Allons ! c’était à lui de se faire accepter sans tomber dans la componction et respecter en se gardant de toute outrecuidance.
    La pluie tombait toujours, poussière et nacre, mêlée au loin à la buée nocturne dont les vagues montaient des prairies comme les fumées d’un feu qui s’étouffe.
    — Sale temps pour notre retour, dit Guillaume.
    Ogier ne partagea pas cette grogne. Après des jours et des jours de chaleur, il s’imprégnait avec plaisir, plus encore qu’en forêt, de cette moiteur aux senteurs d’herbes et de feuilles. Elle lui rappelait – l’âcreté de la mer en moins – celle du Cotentin. Sur sa crête, tel un grand animal pétrifié, le château offrait ses flancs aux caresses liquides, tandis qu’en haut des murailles quelques maçons pas plus grands que des mouches allaient et venaient dans un incessant cache-cache derrière les crénelages incomplets. Le jouvenceau fut tout à coup incapable de décider s’il admirait cet ouvrage rude, imposant, où sa vie bientôt se trouverait enclose. Son apparence redoutable, provocante, lui donnait du mésaise. Était-il nécessaire, sur les escarpements où elle était juchée, que cette couronne de pierre fût si grande et si haute ? Et puisqu’elle révélait la richesse et les sentiments de Guillaume, se pouvait-il qu’il eût atteint ces niveaux de fortune et d’orgueil ?
    — Un géant, hein, mon neveu ?
    Incapable d’énoncer un compliment, Ogier approuva de la tête.
    — Il va falloir bien des hommes pour garnir toutes ces défenses.
    — J’en aurai !
    Des châteaux, ils en avaient vu, proches ou lointains, au cours de leur chevauchée, mais sans jamais s’y arrêter. Craignant d’être interrogé sur l’Écluse par les seigneurs restés en place ou les épouses et les enfants de ceux qui n’en reviendraient pas, Guillaume, à l’hospitalité de ses pareils, avait préféré la promiscuité des auberges. Contrairement à Gratot, construit en plaine et ceint d’arbres et d’eau dormante, ces forteresses accrochées à un sol souvent nu avaient toutes un air d’arrogance mélancolique. Quelques-unes, démembrées par les hommes, puis dépecées par les éléments, et semblables à de grandes carcasses, levaient au ciel, comme pour une imprécation ultime, le moignon d’une tour, d’une barbacane ou d’un donjon. À l’intérieur envahi d’herbes et d’arbustes, le vent dévidait ses plaintes, tandis que jaillissant des orbites ruinées, des pigeons et des corbeaux mêlaient leurs cris, tout en éclaboussant le ciel de leur vol tapageur. Quelles qu’elles fussent, vivantes ou défuntes, ces bastilles exprimaient un présent ou un passé d’action composé de haine, de sang, de prudence – d’amour aussi, soigneusement préservé, mais voué sans doute au chagrin. Solides, rigides dans l’inquiétante gloire de leur entassement, ou bien éparses au sol et déchiquetées dans l’espace, toutes ces pierres parlaient davantage de malheur que de félicité.
    Tandis que la pluie redoublait, pensant soudain à la mer, si proche de Gratot qu’aux équinoxes on y entendait mugir ses tempêtes, Ogier se dit que c’étaient les animaux les plus fragiles ou les plus couards – les huîtres, les praires –, qui

Weitere Kostenlose Bücher