Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
épaules :
    — As-tu confiance en moi ?
    Un autre que lui, Didier ou Renaud, l’eût déjà renversée sur le lit. Elle secoua la tête :
    — Messire, nulle fille du commun ne peut ouïr fïablement [141] les damoiseaux de votre qualité. Ils ont tous les droits. Ils prennent et vont ailleurs sans regrets ni vergogne… Il y aurait moins de malheureuses et de ribaudes si les fils bien-nés étaient pourvus d’un cœur.
    Une lueur de rancune dansait dans ses pupilles. Et pourtant ses épaules ne se dérobaient pas, mais tremblaient. Résignation ? Plaisir ? Elle soupira. Contentement ? Agacement ? Comment savoir ?
    Ogier n’osait parler. Ce qu’Anne avait dit des gars de son espèce était vrai. Comment eût-il pu protester qu’il en était différent puisqu’il rêvait de les imiter, tout en usant de gestes et d’égards dont la plupart d’entre eux étaient bien incapables ?
    La nuit devait en être à son plus noir, et des bruits furtifs atteignaient leurs oreilles : craquements du bois – des solives ou des barils en bas –, crissements de la pluie plus acharnée qu’au crépuscule, grincements d’un grillon, appels des guetteurs sur les murailles et que le vent roulait dans ses plis floconneux… Une belle nuit pour se serrer l’un contre l’autre.
    — Je n’ai guère plus confiance en vous qu’en un autre, reprit Anne, moins âprement. Et pourtant, je crois que vous êtes bon.
    Sa voix ne trompa pas Ogier : elle était tourmentée. Derrière son visage lisse et hardi s’abritaient des terreurs de pucelle agressée… Quant à lui, ce n’était plus une envie de mâle en rut qu’il éprouvait envers la lavandière, mais une sorte d’amour tendre et simplet, dont l’assouvissement – il le savait –, plutôt que de le plonger dans des délices profondes, le pourfendrait d’inquiétude et de remords.
    — Aie confiance en moi… Je suis… différent.
    Il hésitait d’autant plus qu’il était sincère. Bien qu’elle fut contre lui au point d’adhérer à sa chair à travers le tissu de leurs vêtements, il ne céderait à aucune poussée brusque et vulgaire. Plus tard… quand il l’aurait apprivoisée… Quand le désir partirait d’elle, et non de lui.
    — Je vous crois.
    Elle le considérait sans la moindre humilité, maintenant. « Je lui plais, mais elle est encore craintive. » Il insista :
    — T’a-t-on jamais…
    — Non, messire. Je vous le jure sur la Très Sainte Vierge !… Je me suis toujours gardée. J’ai pris parfois des coups et me suis défendue… Souvent avec mon battoir !
    Elle souriait, mais à peine, et sa voix s’était assourdie. Songeait-elle : « Puisqu’il faudra bien un jour que je cède, autant vaut-il mieux que ce soit à lui… » Or, ce n’était pas de la résignation qu’il attendait d’elle, ni un consentement pareil à un sacrifice.
    — Es-tu promise à un gars ?
    — Non… Thibaut, un bûcheron d’en bas, a essayé de convaincre mon père.
    — Tu l’aimes ?
    Elle rit :
    — Plutôt que de céder à cet ours, je préférerais me faire nonne !… Des maçons, des charpentiers ont aussi essayé. Vainement… Je sais me battre quand il faut.
    Il avait cru discerner en elle un dédain secret, solide, et une suspicion certes fondée envers les mâles quels qu’ils fussent ; il en subissait le démenti : elle pouvait être gaie, comme maintenant, et se blottir contre un garçon, par envie, plaisir ou lassitude.
    — Reste, dit-il, et sois sans crainte… Je ne te supplie ni te commande. Passe la nuit auprès de moi. Si tu veux, nous mettrons Saladin entre nous. Je te promets d’être aussi sage… qu’un gisant ! Laisse donc le fourrage à d’autres.
    — Eh bien, soit. Je crois à ce que vous dites.
    Elle s’allongea telle quelle sur la couche tandis qu’il enlevait en hâte son pourpoint, ses heuses, ses chausses, et ne conservait pour tout vêtement que ses braies [142] .
    — Tu peux te mettre à ton aise, dit-il en s’allongeant.
    — Je veux bien, mais fermez les yeux.
    Elle se releva. Suffoqué, paupières closes, il entendit glisser une à une les étoffes rudes, et quand il crut pouvoir regarder, l’étonnement l’emporta tellement sur l’inertie à laquelle il s’était condamné qu’il en frémit : elle était nue, étrangement cuivrée par la flamme du cierge, les seins bien fermes, l’écusson de broussaille nettement visible entre le ventre rond et les cuisses longues

Weitere Kostenlose Bücher