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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ensemble.
    Elle avait besoin de dilection et de sollicitude ; il ne songeait qu’à l’étreindre. Les deux autres, là-haut, l’avaient contaminé.
    — Quel âge as-tu ?
    — Seize…
    « Deux ans de plus que moi, mais ça ne se voit pas ! »
    À la lueur frémissante du cierge, ses regards glissèrent de l’oreille d’Anne, petite, rose, à son cou maigre et long, digne d’une parure, mais que des rides cerclaient déjà de délicats colliers ; glissèrent encore sur l’épaule un peu tombante et s’arrêtèrent – car elle l’observait et savait à quoi il pensait. Il mentit :
    — Je me demandais si tu étais heureuse en ces lieux.
    Elle soupira. Il comprit qu’elle se tairait. Il affirma :
    — Je te protégerai. Et Saladin aussi.
    — Gardez-le, messire… Au moins, je le saurai en sécurité.
    — Soit !… Je t’en sais bon gré. Il sera notre chien.
    Elle caressait le chiot qui parfois remuait d’aise.
    Mains fines, veloutées, couleur, douceur de cire. Pour le moment, car pure ou non, froide ou chaude, l’eau, un jour, en serait l’ennemie. Elles se rideraient, se gerceraient et se crevasseraient. L’hiver, les engelures… Peu à peu ces doigts longs, agiles, se feraient crochus, rougeâtres, rêches et mats tel que fer ou bois brut ; et ces paumes lisses, devenues calleuses, poliraient le mancheron du battoir. Mains propres, ô combien, mais inaptes aux attouchements parce que roides et râpeuses.
    Il décida : « Je demanderai à Blanquefort de fournir une autre tâche à cette… » il n’osa employer le mot « fille ». Et tandis que la jouvencelle continuait de mignarder Saladin, il se souvint de cette soirée où un ménestrel, Pétrus d’Estivaux, avait demandé asile à Gratot.
    C’était en février – le mardi gras. Son père venait d’arriver de Rouen pour deux jours. « Eh bien, Pétrus, demeurez céans autant que moi ! Nous repartirons ensemble. » Il lui avait offert la meilleure chambre des communs et l’avait invité à partager son souper avec ses serviteurs. Le soir venu, vêtu de pourpre, son rebec à trois cordes à la main, Pétrus avait franchi le seuil de la grand-salle. C’était un brun d’une beauté grave, mais trompeuse, car en dehors de ses ballades enjouées, énamourées, il poussait loin l’audace et l’irrespect des dames.
    — Anne, mon oncle accorde-t-il asile aux trouvères ?
    — Oh ! non, messire… Il n’accueille que des hommes d’armes.
    Mardi gras. Un moment Ogier ferma les yeux.
    Ce soir-là, il avait surpris Bertine, la fille aînée de Violaine, la lingère, dans un recoin de la bûcherie. Elle avait vingt ans. Pas farouche… En fait, il l’avait suivie le cœur fou, entraîné, poussé, tiré par une envie pire qu’un maléfice. Il avait trop bu, et les chants audacieux de Pétrus après que sa mère, son père et Aude eurent regagné leur chambre, avaient pimenté son ivresse…
    — Qu’avez-vous donc, messire ? Vous ne parlez plus. Je vous ennuie.
    — Demeure, Anne. Ça va passer… J’ai quitté tant et tant de choses…
    Bertine. Comme c’était loin ! Une rosée de sueur perlait sur son front. Elle avait écouté Pétrus en apportant les derniers plats, et ses yeux reflétaient une ardeur insensée. Elle avait posé sa chandelle sur un billot, et comme Gersende, elle avait ouvert sa camisole, sorti ses seins, demandé : « Touche-les ! » C’était la première fois qu’il découvrait la féminité dans tout ce qu’elle pouvait avoir de troublant et de provocant. Il avait caressé cette chair offerte, suant et frémissant de plaisir, n’osant trop regarder, dans le visage blêmi par la petite flamme jaune, proche de leurs genoux, les yeux rieurs qui l’examinaient, et laissant faire les mains effrénées de la fille. Il lui avait dit : « Viens. Allons dans ma chambre », mais elle avait pressé ses lèvres contre les siennes : « À quoi bon, damoiseau ? On est bien là… Pour ta chambre, on verra plus tard, si l’envie me prend de recommencer ! » Il eût aimé résister à cet envoûtement insane. Il eût voulu pouvoir trouver la force d’opposer sa volonté à une envie contraire aux doux élans imaginés en songe. Bertine le tenait, le serrait, audacieuse, impudique. Il sentait tout ce que l’intervalle entre ses souhaits, ses obsessions et la réalité de cet instant-là pouvait avoir d’incongru, mais il la laissait agir, trouvant bientôt un certain délice

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