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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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dire ? » se demanda le damoiseau. Plus il observait son oncle, moins il le reconnaissait. Était-ce la sévérité de son vêtement qui le déconcertait ainsi ? Non, sans doute, bien qu’il fut inhabituel : Guillaume portait sur sa chemise un pelisson court, au col épais, sur lequel il avait passé une tunique simple dont les manches, depuis les entournures jusqu’aux poignets, formaient entonnoir. Il était habillé de noir, de son chaperon à ses chausses, et jusqu’à ses heuses de cuir cordouan.
    — Tancrède a bien changé, mon oncle !
    Un tremblement s’empara des joues de Guillaume, de son menton – comme s’il se retenait de pleurer. Quelque chose de plus essentiel que sa nobilité s’était disloqué en lui, et s’il rentrait sa tête entre les épaules, ce n’était plus pour éviter les égratignures des branches.
    — Eh oui, elle a changé.
    Surmontant sa gêne, Ogier se maintint à la hauteur du vétéran et fut aussitôt ému par la pâleur de ce profil en friche et par le tassement de ce dos que le trot de Broiefort aggravait. Il s’aperçut que, pour la première fois de la matinée, le baron consentait à être lui-même : non plus un chevalier irascible et hautain, mais un homme usé par les saisons, les blessures, les déceptions ; un malheureux humilié par l’échec d’une paternité double, l’une factice, et se rapportant à lui, Ogier ; l’autre vraie, et concernant Tancrède dont le couvent, plutôt que de les atténuer, avait développé les tendances garçonnières.
    — Reprenez-vous, mon oncle !
    Irrité soudain par cette détresse contre laquelle il savait ne pouvoir rien, Ogier se demanda lequel il préférait des deux hommes : celui qui, à force de constance et de grand vouloir, pouvait encore, s’il le fallait, combattre, ou celui qui, incapable de vaincre l’angoisse d’une espèce de solitude précédant celle, inexorable, du tombeau, se soumettait enfin aux lois de la nature, d’autant plus rigoureuses envers lui qu’il en avait toujours fait fi, par orgueil plus encore que par inconséquence. Pour la première fois de sa vie, sans doute, l’esprit du baron charriait des sentiments inconnus, incongrus, tels que la tendresse, l’égoïsme, le désespoir et peut-être – à l’égard de Tancrède – la vergogne.
    — Demeure auprès de moi, Ogier ! Plus que jamais j’ai besoin de ta présence. Pas une seule fois, elle ne m’a appelé « Père »… L’as-tu remarqué ?
    Le vieillard parlait haut, comme sans souci d’être entendu.
    — Ne reviens pas à Gratot… Tu seras le nouveau seigneur de Rechignac… Nulle bastille, aux alentours, n’est aussi belle.
    — J’en conviens.
    — Tu peux épouser quelque pucelle de bonne estrasse [150] … Je t’en chercherai une… Après tout, tel que tu es, te voilà plus mon fils que celui de Godefroy.
    Ces paroles, pourtant prévues, blessèrent profondément Ogier. Par respect pour cette débâcle affective, il feignit de ne pas les avoir entendues.
    — Car s’il t’a engendré dans le corps de ma sœur, c’est moi qui ai fait de toi un homme.
    Ogier fut près de regimber contre cette sorte d’apophtegme en répliquant, tout bonnement, que Blanquefort et Vivien avaient contribué à son éducation. Il s’abstint d’envenimer la détresse de cet homme blessé sans savoir ce qu’il éprouvait à son égard. De la pitié ? Le repentir anticipé d’infliger à un guerrier exemplaire un surcroît de souffrance équivalant à un coup de grâce ? Le regard trouble de Guillaume et ses mains convulsivement serrées sur les rênes trop lâches exprimaient avec une éloquence plus forte encore que des paroles l’affliction qui enténébrait son cœur et son âme. Il livrait contre lui-même le plus acharné, le plus immérité, le plus exténuant des combats. Il se savait perdu.
    — J’aimerais…
    — Non, Ogier… Non, mon fils… Plus un mot.
    Ne les avaient-ils pas épuisés l’un et l’autre ?

II
    Un désespoir inattendu s’empara d’Ogier quand, sortant des frondaisons épaisses, il découvrit les prairies et les boqueteaux épars autour de Rechignac. La violence de cette affliction l'ébranla d’autant plus douloureusement que le pays merveilleux, devant lui, s’il l’avait provoquée, n’en était pas la cause essentielle. Bien qu’il participât de l’une et de l’autre, cet émoi différait de l’admiration par son amertume et du chagrin par son

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