Les lions diffamés
châtaignier.
— Voilà sept ans que ces travaux ont été entrepris. Dans quinze jours, j’en verrai enfin l’issue !… Avant que tous ces manouvriers de bonne espèce ne m’aient quitté, il me faut engager trente ou quarante archers… Les tavernes du Puy-Saint-Front sont pleines de gars affamés, prêts à se vendre pour avoir litière, boisson et mangeaille assurées.
— En temps de paix, sans doute, observa Ogier. L’oubliez-vous, mon oncle ? Le commun sait comme nous que les Anglais progressent en ce terroir. La plupart de ces gars, je le crains, préféreront rester des errants couchant, mangeant et lampant au hasard plutôt que de devenir ou redevenir mercenaires… Vêtements, nourriture et solde ne sont certes pas négligeables par le temps qui court !… Mais contre quoi, ces avantages ? Le péril de mort… Et mourir pour quoi ? Ils n’ont rien, eux, à défendre.
— Le royaume, ou tout au moins le Périgord leur appartient autant qu’à nous !
— Allons donc !… Vous savez comme moi ce qu’on dit jusque dans vos murailles : les vilains et même les bourgeois de Guyenne sont plus heureux sous le joug des Anglais que tous ceux de par chez nous sous l’obédience de Philippe VI et des princes du sang !
Le baron eut un geste irrité :
— Les Goddons sont Dieu sait où !… Peut-être reculent-ils devant nos gens de haute et basse conditions, loyalement assemblés pour les vaincre !
Puis, tout à coup enclin à la sincérité :
— Crois-moi, cette invasion ne me dit rien qui vaille… J’ai eu mon content de combats !… Voilà cinq ans que je vis bien, loin du grand hu [151] des mêlées… J’étais ardent et armeret [152] à la bataille, et tu le sais, ma carcasse en porte les marques !… Désormais, pour trouver mon sort enviable, il me suffit de pourpenser que je peux défier l’Édouard III en la personne de Derby, ou de n’importe quel connétable anglais s’il vient m’encercler avec ses malandrins !… N’est-il pas vrai que ces parois inspirent tout à la fois le respect, le réconfort, et, pour celui qui les fit élever, un orgueil légitime ?
Ogier approuva le vieillard tout en regardant l’énorme masse barlongue du donjon au sommet duquel des maçons élevaient le dernier merlon. Hardis, robustes, ces hommes étaient épris de belle ouvrage. Et ils l’avaient prouvé !
Soudain, le garçon sentit les doigts du vieux guerrier se crisper presque méchamment sur son épaule.
— Tu seras donc armé chevalier ailleurs qu’en ces murailles où tu as tant appris !
Ogier contrefit sa voix pour répondre doucement :
— À quoi bon revenir là-dessus ? Je serai adoubé à Gratot, et par mon père… Auparavant, je défierai Blainville.
— Quand ? Comment ? Il est temps, – ne crois-tu pas ? – de m’exposer enfin tous tes desseins… Pendant cinq ans, nous ayons autant que faire se pouvait évité de parler de l’Écluse et de ses conséquences… Était-ce déraison, lâcheté ou sagesse ? Je n’en sais rien.
— Quand ?… Je serai patient… Comment ?… Devant le roi… J’attendrai le temps qu’il faudra, mais en présence de notre sire Philippe, je jetterai mon gantelet à la face de ce félon ! Ensuite je raconterai tout ce qui s’est passé en Flandre et réclamerai le jugement de Dieu !
— Le roi exigera preuves et témoignages.
— J’y ai pensé… Aussi, avant d’affronter cet homme en champ clos, je vous ferai quérir ainsi que Blanquefort !
— Nous ne pouvons attester la traîtrise : ce serait nous parjurer. Il nous est seulement loisible de raconter comment Blainville a fait en sorte que nous perdions cette bataille dont le souvenir nous tourmente encore tous…
— Je l’occirai !
— Ne sois pas si présomptueux… D’autres plus aguerris que toi ont inquiété Blainville… Te souviens-tu d’Arnoul de Loubignac ?
— Bien sûr ! Il revenait de la guerre de Bretagne quand il fit halte ici avec son écuyer. Il avait perdu un œil au siège d’Hennebont et un pied à Vannes.
— Rappelle-t’en afin d’apaiser ton ardeur : Loubignac nous a dit que Blainville était plus en faveur que jamais. Il s’est à sa façon, là-bas, couvert de gloire… Quand Nantes est tombée devant Charles de Blois et le duc Jean, c’est lui qui captura Montfort. Loubignac a vu Blainville et l’ursupateur sortir de la tour où ce dernier s’était retranché… On n’eût pas dit deux
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