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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Blainville et de l’affronter… J’en ai désormais les moyens.
    Guillaume hocha la tête et ne répondit point.
    Après une demi-lieue de marche régulière, les chevaux prirent l’entre-pas, puis le trot en débouchant sur le chemin d’Excideuil, au pied d’une colline rocheuse, coiffée de châtaigniers. Ogier considéra les grands arbres fiers au-dessus desquels planait un aigle, puis le ciel gris-noir effiloché d’azur. Baissant les yeux, il dit soudain, le doigt tendu entre les oreilles de Marchegai :
    — Là !
    — Crois-tu que ce sont eux ? questionna Guillaume, sourcils froncés.
    Se détachant parfaitement sur le fond verdoyant des prairies, quatre cavaliers avançaient. Deux étaient coiffés de fer, un autre d’un chaperon noir ; le quatrième allait nu-tête.
    — Est-ce quelque avant-garde ennemie ?
    — Non, mon oncle. S’ils avaient à venir jusqu’ici, les Anglais seraient au moins cent ! De plus, il y a un cheval blanc… peut-être Roxelane.
    Roxelane : un présent de Guillaume à sa fille ; une jument nerveuse et rétive, âgée d’un an, acquise six mois plus tôt, à Sarliac, pour Tancrède, mais qu’il avait dressée, lui, Ogier. L’avant-veille, Blanquefort l’avait emmenée avec lui.
    Le damoiseau, méfiant, fit jouer son épée dans son fourreau, et quand l’homme au chaperon agita un bras, il s’écria :
    — Ce sont eux ! Hugues nous fait signe.
    Il arrêta Marchegai. S’il s’était agi d’une autre fille que Tancrède, il eût lancé son cheval au galop pour l’atteindre et la saluer en premier. Mais elle  !… Il n’éprouvait ni plaisir ni impatience à la retrouver : c’était par devoir qu’il avait accompagné Guillaume.
    Les sergents – Norbert et Paul –, l’arc à l’épaule et le carquois fourni, honorèrent le baron d’un « Messire  » et continuèrent leur chemin. Puis vint Blanquefort, paisible et neutre.
    — La voilà ! dit-il en retenant Veillantif.
    Ogier reconnut d’autant moins sa cousine qu’elle avait sacrifié ses tresses et s’était vêtue comme un homme.
    — Tudieu ! s’exclama Guillaume. J’allais au-devant de ma puînée, et il m’arrive un damoiseau !… Est-ce bien toi ?
    —  C’est moi.
    — Pourquoi t’es-tu fait tondre ?
    Loin de l’incommoder, la question égaya Tancrède. Son visage figé s’éclaira ; une fugitive nuance de moquerie anima sa bouche :
    — Pour la vie que je vais mener désormais à vos côtés, mes longs cheveux m’auraient certainement gênée. Je les ai taillés ce matin et brûlés dans l'âtre de l’auberge…
    — Et tes vêtements… Quelle idée de s’affubler ainsi !
    Ogier, de biais, considérait sa cousine immobile sur Roxelane, qu’elle avait déjà bien en main. Elle était vêtue d’un pourpoint bleu, de soie retorse, dans lequel sa poitrine était visiblement à l’étroit. Ses chausses de velours sang-de-bœuf s’enfonçaient dans des houseaux de cuir noir. Une dague à pommeau et à fusée d’acier doré pendait à sa ceinture. Ainsi accoutrée, une autre qu’elle eût passé pour folle. Or, plutôt que la dérision, elle inspirait le respect.
    — J’ai tout acheté hier à Jumilhac, dit-elle.
    — Je n’ai rien pu contre, commenta Blanquefort. Et par Dieu, je ne sais d’où viennent ces écus dont sa bourse était pleine !
    — Que t’importe, Hugues ! répliqua Tancrède en riant. Je les avais. Ils m’ont servi.
    Son visage avait perdu sa fixité hautaine, et cependant, sa bonne humeur semblait feinte, à fleur de peau. « Dessous, pressentit non sans tristesse Ogier, elle est toujours la même ! » Elle dardait sur son père des regards froids, profonds, et ses lèvres parfois se joignaient en moue fugace, indéchiffrable : émotion refoulée ? mépris ou condescendance ? Comment savoir ?
    — Es-tu heureuse de nous revenir ? demanda Guillaume en dominant sa déconvenue.
    Tancrède eut une mimique d’agacement car le baron, par son intervention, avait interrompu le cours d’une idée.
    — Je vous ai détesté quand vous m’avez menée là-bas. Il serait injuste que je vous en veuille encore.
    Ogier fut certain que, derrière cette grâce amnistiante – ou cette amnistie gracieuse –, un ressentiment des plus noirs, des plus tenaces, subsistait, soigneusement enroulé comme une vipère sur un tas de pierres chaudes, et résolu à se détendre et à mordre. Abandonner le château familial constituait, pour

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