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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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âpreté.
    Il avait cru que son départ le déchargerait d’un immense fardeau dont il se refusait toujours à dresser l’inventaire. Il avait acquis la certitude qu’en s’éloignant de ces lieux, il respirerait d’une ample et voluptueuse haleine. Eh bien, ce plaisir-là lui serait refusé. Quelque incongrue qu’elle lui parût, la détresse qui plombait son cœur se prêtait à l’analyse : il se sentait soudain sur le point d’être dépossédé d’un domaine où son fantôme seul allait errer sans fin. Dans quelques jours, si les Anglais refluaient en Aquitaine, ce serait Tancrède qui parcourrait ces prés, ces bosquets, ces futaies et ces vignes sans jamais imaginer combien ce cousin qu’elle traitait de haut les avait chéris.
    « Telle qu’elle m’apparaît, elle prendra des allures de suzeraine… ou de suzerain ! » Ironie facile et indigne de lui. « Jaloux ? se demanda-t-il alors. Ah ! non… Rien ne m’appartient ici. Les seuls biens que j’y ai acquis ne risquent pas de retarder ma chevauchée. Ce sont mon noir coursier et mon harnois de guerre ! »
    Suivant Guillaume, il traversa le village auquel sa cousine, talonnant sans nécessité Roxelane, accorda un regard à la fois distrait et supérieur. Personne sur les seuils aux portes vermoulues. Trois toits de chaume s’incurvaient. L’un d’eux, le moins pelé, abritait l’Henriette, la mère de Margot et d’Anne. Et l’Henriette se mourait…
    — Nous y voilà, ma fille, dit Guillaume. Hérissant de ses tours et de son crénelage l’éminence dont elle couronnait le sommet, la forteresse donnait un formidable coup de dents aux nuages.
    — Bien sûr, tu ne t’y reconnais plus !… Cinq ans !… À ton départ le donjon n’était qu’un trou dans la terre ! Il crève à présent le ciel !
    Comme elle ne disait mot – ou submergée ou dépourvue d’émotion – le baron, déçu, laissa Tancrède, les sergents et Blanquefort prendre du champ. Se détournant alors à peine, il lança :
    — Ce matin, Sicart de Lordat m’a rejoint aux cuisines. Il m’a annoncé l’achèvement des travaux dans deux semaines.
    Le ton étant devenu brusquement moins amène, Ogier s’attendit à des reproches.
    — Il m’a également prévenu que Bressolles allait te suivre jusqu’à Pontorson, et de là te quitter pour gagner le Mont-Saint-Michel.
    — C’est vrai… J’avais décidé de vous l’annoncer ce soir.
    — En somme, de m’informer le dernier ? L’expression du visage de Guillaume révélait une rancune froide, en parfait accord avec la pluie qui se remettait à tomber.
    — Pas le dernier, mon oncle, mais… Bruyamment, les fléaux du pont-levis s’abaissèrent.
    Griveau et Chastagnol sortirent du château par la porte piétonne.
    — Tout va bien ? demanda Blanquefort tandis que la cavalière et les sergents franchissaient le tablier sonore et s’enfonçaient sous la grande voûte dont la herse était abaissée d’un tiers.
    — Oui, messire !
    Son cri de stupéfaction retenu sans doute à grand-peine, le portier bafouilla en désignant du doigt Tancrède :
    — C’est… c’est notre damoiselle ?
    — Eh oui, Chastagnol, ricana Guillaume.
    Quand son oncle l’eut fait, Ogier mit pied à terre. Il tendit les rênes de Marchegai à Griveau, et tandis que le palefrenier à la fois hilare et ahuri entraînait l’étalon vers l’écurie, Chastagnol s’exclama :
    — Par le sel de mon baptême, je l’aurais prise pour un gars !
    Guillaume considéra ce petit homme trembleur, rouge comme ce vin qu’il aimait tant à boire.
    — Va donc t’occuper des treuils… Clos ces murailles en hâte, mais laisse la herse où elle est… Quant à toi, mon neveu, suis-moi.
     
    *
     
    Derrière le baron subitement maussade, Ogier s’engagea sur un des deux escaliers découverts qui accédaient à la bretèche du pont-levis.
    — Nous voilà donc au complet, dit Guillaume avant même d’avoir atteint le chemin de ronde… J’ai bien fait d’envoyer quérir Tancrède mais ça ne me dit rien d’assister à ses retrouvailles… Tu devines l’effet qu’elle produira sur Claresme, Mathilde… et bien d’autres !
    Se penchant vers la haute cour en partie fermée par les logis, la chapelle et les écuries, le vieillard observa les maçons occupés à tirer les derniers fardiers de pierres, et les charpentiers entassant tout au long des murs des étables et du fournil des tronçons de chêne et de

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