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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Tancrède, un acte d’obéissance qu’aucune rébellion n’aurait pu ajourner. Elle le savait et s’était préparée à ce départ. Cependant, abandonner Gersende avait dû la meurtrir.
    — Cousin, dit-elle, au cas où nous nous serions croisés seuls, un tout autre jour que ce dimanche, je ne sais si je t’aurais reconnu.
    Ogier se sentit dévisagé avec tellement d’insistance qu’il en rougit.
    — Je serais passée près de toi sans te voir.
    Comme on met une pincée de sel sur un aliment insipide, Tancrède assaisonnait sa voix d’un soupçon de moquerie pour en atténuer la suavité.
    — Je t’aurais remirée, cousine… sans savoir que c’était toi.
    C’était un compliment. Elle y fut insensible.
    Guillaume s’immisça dans cette passe d’armes :
    — N’étaient ces tétons qui gonflent ton habit, on te prendrait pour un damoiseau.
    Il riait, mais il était gêné, tandis qu’après ce dialogue aigre-doux, Ogier, malcontent, se retrouvait confronté au mystère de cette cousine dont le couvent, il en fut certain, n’avait fait ni une sainte ni une fille à marier.
    Elle était belle, pourtant, dépouillée des artifices dont Claresme mésusait parfois pour rehausser l’éclat de son regard et de ses lèvres. Elle était nette. Son visage régulier, son teint clair, préservé par des voûtes et des murs à peine moins austères que ceux de Rechignac, le port altier de son buste, ses longues jambes pliées sur les flancs de Roxelane exprimaient l’énergie, la maîtrise de soi. Il existait d’ailleurs une communion singulière entre cette jouvencelle sûre d’elle après cinq ans de privations de toutes sortes – dont celle de chevauchées – et cette jument déjà soumise et résolue à la satisfaction des vœux et rioles [147] de sa cavalière. On eût dit qu’elles s’étaient plu, accointées immédiatement, et que déjà leurs rapports harmonieux et sévères se composaient par moitié d’une sorte d’énergie flexible et d’audace ostentatoire.
    « Belles, redoutables et complices », conclut Ogier en flattant le col de Marchegai, tout à coup fébrile et frissonnant.
    — Hugues m’a dit que tu es prêt à partir pour Gratot.
    — Eh oui, cousine… J’ai depuis fort longtemps achevé mes enfances [148] .
    L’expression grave du visage de Tancrède fut effacée par un rire sec, rapide :
    — Nous n’aurons fait que nous croiser !… J’aurais aimé te mieux connaître.
    Ses longs cils battirent, dissimulant son regard, puis, pensive, elle talonna Roxelane.
    — J’aime cette jument, dit-elle avec toujours, dans sa voix, cette placidité sinon cette acerbité par laquelle, semblait-il, elle se plaçait non pas à l’écart des autres, mais au-dessus.
    « Une femelle à ta semblance, songea Ogier. Malaisée à dompter, mais j’y suis parvenu… Avec toi, je ne prendrai pas cette peine. »
    Les sergents avançaient sans parler. Ensuite venaient Blanquefort et Tancrède, tout à coup silencieuse, puis, à distance, Guillaume auprès duquel le damoiseau se sentit enclin à chevaucher.
    — Comment la trouves-tu ?
    — Belle, mon oncle, malgré ses outrances.
    Ogier considérait ce buste droit, ces hanches doucement incurvées, soulignées par la ceinture, ces deux croupes juxtaposées, l’une rouge, l’autre blanche et luisante, fouettée par la longue quenouillée des crins blonds. Et, sans savoir pourquoi, il se surprit à évoquer Anne. Cinq ans… C’était vrai qu’elle était vierge, la première nuit où elle s’était glissée dans son lit… Leurs amours étaient connues de beaucoup, et s’il en était informé, Guillaume avait toujours feint de les ignorer. Trois jours après son arrivée à Rechignac, lorsque la Mathilde avait été coiffée de lauzes, il s’y était fait donner une chambre. Anne avait repris la sienne.
    — Et comment va Didier, mon cousin ?
    — Il paraît solide et fort heureux de mon départ.
    — Renaud et Haguenier ? Vous entendez-vous bien ?
    — Résolument mal, cousine. En cinq ans nous n’avons pas échangé cent mots.
    Tancrède émit un petit rire froid, et l’expression de fermeté qui, depuis son réveil, avait figé la face d’Ogier, s’aggrava. Ces rustiques l’abominaient toujours autant, bien qu’il n’eût jamais montré à leur égard la moindre hautaineté. En vertu d’une équité qui devait lui coûter, Guillaume n’avait jamais exercé sur lui un pouvoir différent de celui

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