Les Mains du miracle
pris par Himmler : l’armée allemande capitulerait en
Norvège ; les camps de concentration, sauvés du dynamitage, avaient pour
ordre d’arborer le drapeau blanc à l’approche des Alliés.
Le ministre des Affaires étrangères
fit répéter ces nouvelles à Kersten, avant d’y croire entièrement.
— Extraordinaire, murmura-t-il
enfin.
— Ce n’est pas tout, dit le
docteur. J’ai carte blanche pour amener un envoyé du Congrès Mondial Juif en
Allemagne, afin qu’il y rencontre Himmler.
Christian Gunther était un homme de
grand sang-froid et très mesuré dans ses mouvements. Mais, à ces paroles, il se
dressa hors de son fauteuil.
— Est-ce que j’entends
bien ? s’écria-t-il. Quoi ! Himmler va recevoir un Juif ? Et qui
représente une organisation juive mondiale ? Allons donc ! C’est
délirant, c’est absurde ! Je sais bien que vous êtes le Docteur Miracle,
mais ça, même pour vous, c’est impossible.
— On verra bien, dit Kersten.
Le lendemain il eut une conférence
avec Hillel Storch et lui annonça que cinq mille Juifs seraient bientôt libérés
et que les camps où étaient détenus les autres ne seraient pas exterminés.
— Enfin, acheva Kersten en
souriant, j’ai un message pour vous. Himmler vous invite à prendre le café.
Le visage de Storch, plein de
gratitude jusque-là, devint d’un seul coup figé, presque hostile. Il dit :
— Je vous serais reconnaissant
de ne pas plaisanter à ce sujet. Ce n’est pas le moment. L’affaire dont nous
parlons est trop grave, trop douloureuse.
— Je vous assure que je n’ai
jamais été plus sérieux, dit Kersten.
Il eut beaucoup de mal et il lui
fallut beaucoup de temps pour convaincre Storch que ses paroles correspondaient
à la vérité. Celui-ci n’y ajouta vraiment foi qu’après avoir suivi au téléphone
plusieurs entretiens entre Kersten et Himmler. Alors seulement il se résolut à
câbler à New York pour demander au Congrès Mondial Juif l’autorisation de se
rendre auprès de Himmler.
— Si vous estimez devoir le
faire, faites-le, lui fut-il répondu.
Au cours des journées qui suivirent,
Kersten travailla beaucoup, tantôt avec Gunther, tantôt avec Storch, pour
mettre au point les derniers détails que chacun d’eux voulait voir réglés par
Himmler.
Enfin, dans la première semaine
d’avril, Gunther dit à Kersten :
— J’ai à vous demander d’aller
en Allemagne une fois encore. Nous avons de nouveau les plus graves difficultés
avec Kaltenbrunner pour le convoi. Il serait utile aussi d’avoir des précisions
définitives sur la capitulation de l’armée allemande en Norvège.
— Bien, dit Kersten. Et je
profiterai de ce voyage pour emmener Storch.
Gunther fit des deux mains de grands
signes de dénégation.
— Ça non, dit-il. Je ne peux
pas y croire encore. Cela n’entre pas dans ma tête, tout simplement. Si vous y
parvenez, hé bien, ce sera un prodige… je ne sais pas moi… un prodige sans nom.
Le 12 avril, une transmission
de Hartzwalde informa Kersten que Himmler l’attendait avec Storch exactement
dans une semaine, le 19 avril.
Hillel Storch accepta de partir à
cette date. Mais, quelques heures avant le départ, il téléphona à Kersten,
d’une voix déformée par le regret et le chagrin, qu’il était obligé de rester.
On craignait pour sa vie en Allemagne : il avait déjà perdu dix-sept
membres de sa famille dans les camps de concentration.
Mais Norbert Masur, citoyen suédois,
de confession israélite et représentant du Congrès Juif, ajouta Storch,
s’offrait à prendre sa place dans l’avion.
Kersten téléphona à Masur pour lui
faire confirmer qu’il acceptait de courir le risque. Il répondit :
— Puisque cela peut servir le
peuple juif, il faut bien que je prenne cette chance, j’imagine.
Kersten prévint immédiatement
Himmler par téléphone qu’un autre délégué juif viendrait au lieu de Storch.
— Peu importe, dit le
Reichsführer.
— Il n’a pas de visa pour
l’Allemagne, dit Kersten.
— Ça ne fait rien, dit Himmler.
J’avertirai mes services. Votre compagnon, quel qu’il soit, aura libre entrée.
Mais surtout ne vous adressez pas à notre ambassade. Elle informerait aussitôt
Ribbentrop.
Les deux hommes s’envolèrent le
19 avril sur l’un des derniers avions à porter la croix gammée. Ils
étaient les seuls passagers.
Cela se conçoit. Dans les environs
immédiats de Berlin, on entendait déjà
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