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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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sujet. Vous avez
été le médecin et le familier du prince Henri, mari de la reine Wilhelmine.
Vous avez encore des contacts avec les membres de la Cour qui sont restés aux
Pays-Bas. Enfin, l’affection que je vous porte exaspère nos gens : ils
trouvent dangereux que j’aie près de moi un homme qui a de pareilles relations,
et qui, en outre, jouit d’une certaine liberté parce qu’il est finlandais. Non,
cher monsieur Kersten, attendez que les passions se calment.
    Il fallait se résigner à vivre dans
le train maudit.
    Pour échapper au paysage des rails
et des bâtiments ferroviaires, Kersten se promenait dans la campagne. Pour
échapper à l’oisiveté, il se mit à tenir un journal. Enfin, pour passer le
temps, il eut recours à la petite bibliothèque personnelle que Himmler avait
amenée et qu’il mit avec empressement à la disposition de son médecin.
    Alors Kersten fit une découverte qui
le stupéfia. Tous les livres du maître des S.S. et de la Gestapo se
rapportaient à la religion. Il y avait là, outre les grandes illuminations
prophétiques, comme les Védas, la Bible, l’Évangile, le Coran, il y avait, soit
d’origine allemande, soit traduits du français, de l’anglais, du latin, du grec
ou de l’hébreu, des exégèses et des commentaires, des traités de théologie, des
textes mystiques, des ouvrages sur la juridiction de l’Église à toutes les
époques.
    Quand Kersten eut achevé de
reconnaître ces volumes, il demanda à Himmler :
    — Vous m’avez bien affirmé
qu’un vrai national-socialiste ne peut pas appartenir à une confession
quelconque ?
    — Assurément, dit Himmler.
    — Mais alors ? demanda
encore Kersten, en montrant les rayons de la bibliothèque de campagne.
    Himmler rit franchement.
    — Non, non, je ne suis pas
converti, dit-il. Ces livres sont de simples instruments de travail.
    — Je ne comprends pas, dit
Kersten.
    La figure de Himmler devint soudain
sérieuse, exaltée, et, avant même qu’il ne parla, Kersten sut qu’il allait
prononcer le nom de son idole. Himmler dit en effet :
    — Hitler m’a chargé d’une tâche
essentielle. Je dois préparer la nouvelle religion nationale-socialiste. Je
dois rédiger la nouvelle Bible, celle de la foi germanique.
    — Je ne comprends pas, répéta
Kersten.
    Himmler dit alors :
    — Le Führer est décidé, après
la victoire du III e  Reich, à supprimer le christianisme dans
toute la Grande Allemagne, c’est-à-dire l’Europe, et à établir, sur ses ruines,
la foi germanique. Elle conservera la notion de Dieu, mais très vague, très
confuse. Et le Führer prendra la place du Christ comme Sauveur de l’Humanité.
Ainsi des millions et des millions d’hommes invoqueront, dans leurs prières, le
seul nom de Hitler et, cent ans plus tard, on ne connaîtra plus que la religion
nouvelle qui durera des siècles et des siècles.
    Kersten écoutait, la tête basse. Il
craignait de montrer sur son visage, dans son regard, qu’il jugeait ce projet
démence pure, et fous dangereux les gens qui l’avaient conçu. Enfin, ayant
composé ses traits, il leva les yeux sur Himmler. Rien n’avait changé dans
cette figure, devenue si familière, de maître pédant, aux pommettes
mongoloïdes.
    — Vous comprenez, pour cette
nouvelle Bible, j’ai besoin de documents, acheva Himmler.
    — Je comprends, dit Kersten.
    Le soir même, il résumait cet
entretien dans le journal qu’il s’était mis à tenir. Ces notes, prises d’abord
pour se distraire, devenaient une habitude, un besoin.
    Cependant, l’agonie de la France
arrivait à son terme. Le maréchal Pétain demanda l’armistice. Avant de se
rendre à Compiègne pour assister à la cérémonie de la signature, Himmler offrit
à Kersten de l’emmener. Cette fois encore, Kersten refusa. Il n’était pas, en
général, amateur de spectacles historiques, encore moins de ceux qui lui
faisaient toucher le fond de la détresse.
    Quelques jours plus tard, le train
spécial de Himmler regagna Berlin.
     

2
    La vie reprit son cours normal en
apparence pour Kersten. Il retrouva son appartement, ses aises, son travail,
son appétit. Il retrouva ses amis, sa famille. Il retrouva, à chaque fin de
semaine, la paix des champs et des arbres dans son domaine de Hartzwalde.
    Sa femme Irmgard y demeurait
maintenant d’une façon permanente. Kersten préférait qu’il en fût ainsi pour sa
sécurité et celle de son fils. De plus, elle aimait, depuis son

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