Les Mains du miracle
passible de la peine capitale.
Son pays d’élection, la Hollande,
était envahi par les troupes de l’Allemagne hitlérienne, et les nazis
hollandais lui en voulaient à mort.
Son pays d’adoption, la Finlande, se
fermait à lui puisque ses représentants les plus qualifiés lui enjoignaient de
continuer à soigner le Reichsführer des S.S.
Kersten se trouvait donc assujetti,
rivé à Himmler. Il sentit tout de suite tout le poids de la chaîne.
Le 15 mai, la Hollande et la
Belgique étaient entièrement occupées. Kersten fut invité, de la part de
Himmler, à préparer une valise.
Le Reichsführer partait le lendemain
pour la zone des armées et désirait que son médecin l’accompagnât. Il n’était
pas vraiment malade, mais pouvait avoir, en route, besoin de traitement. Le vœu
n’était plus formulé, comme auparavant, sur le ton de la demande, mais d’un
ordre.
Le train spécial de Himmler, formé
de wagons-lits, wagons-salons et restaurants, était un véritable Grand Quartier
mobile. Tous les services placés sous le commandement du Reichsführer –
Gestapo, S.S., Renseignement, Contre-Espionnage, Contrôle des régions
occupées – y avaient leurs bureaux et leur haut personnel. Dans le sillage
de ce convoi, venaient les chasseurs d’hommes, la faim, la torture, la mort.
Le train spécial s’arrêta à
Flamensfeld-in-Waterland. De là, Himmler, ses suppôts, ses sbires, ses
bourreaux rayonnaient en tous sens. Kersten voyait se tendre l’horrible toile
d’araignée et il avait à soigner Himmler, et il lui fallait écouter ses propos
triomphants.
Le docteur connut alors, malgré tout
son pouvoir sur lui-même, des heures atroces. Seule, la défaite de l’Allemagne
pouvait le tirer de ce bagne moral. Pour cela, il espérait dans la France. Elle
avait, sans doute, cédé sous le premier choc, et les blindés à croix gammée
roulaient sur ses belles routes, sous un ciel de printemps merveilleux. Mais
Kersten se rappelait, et avec toute la vivacité des souvenirs de l’adolescence,
la guerre de 1914. Là aussi, les Allemands s’étaient crus vainqueurs et il y
avait eu la Marne et il y avait eu Verdun.
Hélas, jour après jour, cet espoir
s’amenuisait. Kersten avait beau fermer les oreilles aux nouvelles, il ne
pouvait nier l’évidence : les armées hitlériennes avançaient avec une
facilité terrifiante.
Un matin, entrant dans le
compartiment de wagon-lit réservé au docteur, Himmler lui proposa :
— Cher monsieur Kersten, venez
donc voir avec moi comment nous battons les Français !
Rien ne pouvait révolter Kersten
davantage. Il dit :
— Merci beaucoup, mais le
gouvernement de France ne m’a pas donné de visa.
Himmler se mit à rire et
répliqua :
— Ce ne sera plus jamais le
gouvernement français qui accordera les visas pour ce pays. Ce sera moi.
Venez !
Kersten secoua doucement la tête.
— Je ne suis pas homme de
guerre, dit-il. Je n’aime pas voir des villes en flammes.
— La guerre est nécessaire. Le
Führer l’a dit.
La réponse avait été brève,
automatique ; mais, l’ayant faite, Himmler s’en alla et ne renouvela plus
son offre. Il est vrai qu’il recommençait à subir le supplice de ses crampes et
ne trouvait de salut que sous les mains de Kersten.
Le mois de juin était venu, radieux.
Jamais le cœur de Kersten n’avait été aussi lourd. Il comprenait que la France
était vaincue. Sans compter les conséquences que cette défaite avait sur son
propre destin, il souffrait au plus profond de lui-même en songeant à ce pays
dont sa mère avait parlé la langue comme une Française, dont l’ambassadeur
avait été son parrain et qui représentait, à ses yeux, la culture la plus fine,
l’humanisme le plus doux, la liberté la plus fière. Une grande clarté lui
semblait éteinte qui avait illuminé le monde.
Chaque jour, dans le
wagon-restaurant qui servait de mess aux officiers de l’état-major de Himmler,
Kersten avait à supporter les libations de victoire, les toasts pompeux ou
grossiers, les rauques hurlements qui célébraient la débâcle de la France. Lui
qui aimait tellement manger, il lui était difficile d’avaler un morceau.
Cette attitude renforçait encore
l’hostilité que nourrissait à son égard l’entourage de Himmler. Quand Kersten
entrait dans le wagon-restaurant, les officiers chuchotaient sans prendre
beaucoup de soin pour étouffer leurs voix :
— Ce médecin inconnu… ce maudit
civil…
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