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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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lui seulement le
policier et le bourreau, mais aussi l’être humain.
    Au spectacle de ce corps convulsé,
Kersten éprouva, dans toute leur force, l’impératif du médecin et la pitié la
plus simple pour un homme, quel qu’il fût, qui souffrait à ce degré. Il sentit
qu’il était sur le point de céder. Ses mains, d’elles-mêmes, se tendirent vers
Himmler.
    Elles retombèrent aussitôt.
Obnubilée un instant, l’autre exigence reprenait son empire sur Kersten, celle
d’épargner à un peuple tout entier le sort le plus effroyable de son histoire.
    Et Kersten comprit que, malgré le
sens du devoir qui le poussait à secourir Himmler et la pitié qu’il éprouvait
pour lui, il serait incapable de le soigner efficacement tant qu’il serait
obsédé, pétrifié, par l’horreur de la déportation imminente. Il n’y pouvait rien :
c’était une sorte de paralysie intérieure. Mais si Himmler renonçait au projet
maudit, oh ! avec quelle joie, quelle certitude il le délivrerait !
    Kersten prit une chaise, la plaça
contre le chevet de Himmler, s’assit, se pencha à toucher de son visage celui
du malade. Cette fois, il ne discuta pas, il ne raisonna pas, n’essaya pas de
lutter. Sur un ton humble, affectueux et presque implorant, il dit :
    — Reichsführer, je suis votre
ami. Je veux vous aider. Mais je vous en supplie, écoutez-moi. Reportez à plus
tard cette histoire hollandaise et aussitôt vous irez mieux, je vous le
promets, je vous le jure. Vous n’êtes pas médecin, mais un enfant comprendrait
cela. Vos souffrances sont d’origine nerveuse. Je peux tout sur vos nerfs, sauf
quand une préoccupation trop grave et constante les ronge comme un acide. Pour
vous, l’acide est le souci dont vous obsède l’affaire de Hollande. Ôtez le
souci de votre tête et je puis de nouveau agir sur vos nerfs et vous n’avez
plus mal. Rappelez-vous comme le traitement vous faisait du bien avant cette
affaire. Il en sera de même si seulement vous allez trouver Hitler pour lui
demander de remettre la déportation jusqu’à la victoire.
    Himmler écoutait avec avidité cette
voix presque tendre, ces mots si faciles à comprendre, et regardait, comme
hypnotisé, ces paumes, ces doigts qui déjà s’offraient à lui pour arrêter une
douleur infernale. Dans ses yeux, où brillaient des larmes, la hantise de
Hitler s’estompa, s’effaça.
    Himmler saisit convulsivement l’une
des mains du docteur et gémit :
    — Oui, oui, cher Kersten, je
crois en vérité que vous avez raison. Mais qu’est-ce que je vais dire au
Führer ? Je souffre tellement que je suis même incapable de lier mes
pensées.
    Ce fut alors que le docteur eut à
faire le plus difficile effort sur lui-même : dissimuler son bonheur.
    — C’est très simple,
répondit-il du ton désintéressé d’un homme que les problèmes politiques n’ont
jamais ému. Très simple. Vous direz que vous ne pouvez pas faire face à toutes
les missions à la fois. Parlez du manque de bateaux, de l’encombrement des
routes, montrez à quel point ce travail surhumain menace votre santé et que, si
cela continue, vous ne pourrez pas assurer la réorganisation des Waffen S.S.,
qui est votre devoir essentiel, et de beaucoup.
    — C’est vrai ! C’est
juste ! cria Himmler. Mais comment irais-je parler à Hitler ? Je suis
incapable d’un mouvement, j’ai trop mal.
    Kersten demanda, la voix un peu
rauque :
    — Êtes-vous bien décidé ?
C’est sûr ? bien sûr ? Sans quoi, je vous le répète, je ne peux rien.
    — Vous en avez ma parole, ma
parole de chef allemand, gémit Himmler. Donnez-moi seulement la force.
    La joie cachée de Kersten fut si
exubérante qu’il se surprit à penser : « Sois tranquille, mon
bonhomme, dans une demi-heure tu seras tout à fait capable d’y aller. »
    Jamais il n’avait eu une telle
assurance de réussir une cure. Jamais il n’avait senti, des poignets jusqu’à
l’extrémité des phalanges, l’afflux d’un sang aussi chaud, ni cette élation
inspirée. Et Himmler, qui s’était cru voué à un supplice sans rémission,
retrouva le bienfait des mains de Kersten. Tremblant de faire un geste qui
risquât de les contrarier, il commença à se détendre, à respirer. De temps à
autre, il murmurait, incrédule :
    — Je pense… oui, il me semble
que la douleur s’en va.
    Puis il se tut comme anéanti par la
félicité. Kersten travailla en silence. Quand il eut achevé, Himmler, usant

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