Les Mains du miracle
demandé de redoubler de soins ? Outre toutes
vos obligations habituelles et qui, déjà, sont écrasantes, Hitler, vous m’en
avez informé vous-même, vous a chargé d’une mission capable, à elle seule, de
dévorer un homme : vous devez, et cela avant le début de l’été, porter le
nombre des Waffen S.S. à un million alors qu’ils sont à peine cent mille
aujourd’hui. C’est-à-dire, en trois mois, choisir, habiller, armer, encadrer,
entraîner neuf cent mille soldats. Avez-vous oublié cela ?
— Comment le pourrais-je !
s’écria Himmler. C’est le premier de mes devoirs.
— Et vous prétendez, s’écria
Kersten à son tour, vous prétendez ajouter à ce travail énorme celui de la
déportation des Hollandais ?
— Je le dois, dit Himmler avec
fermeté. C’est un ordre personnel du Führer.
— Eh bien moi, dit Kersten, je
suis incapable, je vous en préviens, de vous donner assez de forces pour
remplir ces deux missions à la fois.
— Et moi, dit Himmler, je me
crois capable de le faire.
— Vous avez tort, dit Kersten
avec une intonation très grave, presque solennelle. Il y a une limite à la
résistance de l’organisme et moi-même, une fois qu’elle est dépassée, je n’y
peux plus rien.
— Mais je dois, je dois
exécuter le plan, cria Himmler sur un diapason suraigu.
Puis, se relevant à moitié, il parla
avec une exaltation croissante et comme s’il cherchait à oublier, dans la
perspective qu’il développait devant Kersten, les avertissements du docteur.
— Écoutez, écoutez comme c’est
magnifique, s’écria-t-il.
« Nous avons pris la Pologne,
mais les Polonais nous haïssent. Il nous faut là-bas du vrai sang germanique.
Les Hollandais en sont issus : cela est indéniable malgré leur trahison.
En Pologne, ils apprendront à changer d’attitude envers nous. Les Polonais vont
les traiter en ennemis, puisque nous allons donner leurs terres aux Hollandais.
Alors, perdus au milieu des Slaves, et poursuivis par leur haine, les
Hollandais seront bien obligés de nous être fidèles, à nous, leurs protecteurs.
Nous aurons ainsi, à l’est de l’Europe, toute une population germanique alliée
à nous par la force des choses. Et en Hollande, nous enverrons de bons jeunes
paysans allemands. Et les Anglais auront perdu leur meilleure plate-forme de
débarquement. Avouez, avouez, seul le Führer pouvait trouver une solution aussi
parfaite. N’est-ce pas génial ?
Kersten sentit son pouls battre plus
vite. Il y avait en effet, dans ce plan, une perfection terrible, celle qui
marque la logique des fous.
— Possible, dit-il sèchement. Moi,
je ne pense qu’à votre santé. Entre vos deux missions, il faut choisir.
Le temps de pause était écoulé. Les
doigts de Kersten pétrissaient de nouveau, dans le corps de Himmler, les
faisceaux nerveux défaillants.
— Je vous demande, dit Kersten,
de me répondre sans réticence, de malade à médecin. Des deux ordres que vous
avez reçus, lequel est-il le plus important, le plus urgent ? Élever
l’effectif des S.S. à un million d’hommes ou déporter les Hollandais ?
— Les S.S., dit Himmler. Sans
aucun doute.
— Alors, dit Kersten, il vous
faut, au nom de votre santé, remettre la déportation jusqu’à la victoire.
Qu’est-ce que cela peut vous faire ? Vous m’assurez vous-même que vous
aurez gagné la guerre dans six mois ?
— Impossible, dit Himmler, la
déportation ne peut souffrir aucun délai : Hitler le veut ainsi.
Les soins étaient terminés. Himmler
se leva, s’habilla. Il devenait invulnérable. Mais Kersten n’avait pas cru un
instant qu’il pouvait l’emporter d’un seul coup. L’essentiel était que le débat
fût engagé tout naturellement et sur le seul terrain où Kersten avait toute
liberté de le poursuivre sans éveiller de soupçon. Le destin pouvait encore
changer de chevaux.
Soudain, une angoisse saisit le
docteur. Si, par miracle, Himmler renonçait à déporter le peuple hollandais, la
besogne ne serait-elle pas confiée à Heydrich ou à quelque général ou à un
grand dignitaire sur lequel lui, Kersten, n’aurait aucune influence…
En prenant congé du Reichsführer, il
lui demanda avec sollicitude :
— Êtes-vous le seul capable d’assurer
la déportation ? Pourquoi ne pas chercher quelqu’un d’autre ?
Himmler frappa du plat de la main
sur sa table et cria :
— Pour une mission de cette
importance, de cette envergure, le Führer
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