Les Mains du miracle
de
mouvements lents et craintifs, se leva, respira à fond et s’écria :
— Mais je vais mieux… mais je
ne souffre plus.
— C’est uniquement, dit Kersten,
parce que vous avez pris la résolution de parler à Hitler. Dépêchez-vous de le
faire, on ne sait jamais quand les crampes reprennent.
— J’y vais… j’y cours, s’écria
Himmler.
Il saisit ses vêtements, s’habilla
en toute hâte.
À ce moment retentit la sonnerie du
téléphone :
— Oui, dit Himmler à
l’appareil, c’est moi !
Il écouta sans prononcer un mot,
puis il raccrocha, se tourna vers Kersten et dit :
— La campagne de Yougoslavie
est achevée. Le Führer vient de partir pour Berlin et ordonne que je le suive.
Il passa rapidement sa vareuse et
ajouta :
— Faites votre valise. Notre
train est déjà sous pression.
Himmler avait retrouvé ses gestes et
sa voix de commandement. Et Kersten, qui savait combien le Reichsführer
changeait d’attitude et devenait intraitable quand il se sentait mieux, ne put
s’empêcher de penser : « Je l’ai guéri trop vite ; il va se
reprendre, oublier sa promesse, revenir à la détermination fanatique d’arracher
à la Hollande le peuple hollandais au jour prévu. »
Mais le sort avait choisi, cette
nuit-là, d’aider Kersten. Pendant le voyage, Himmler fut repris de crampes
atroces. Et, tandis que le train spécial roulait dans les ténèbres, Kersten dut
traiter le Reichsführer une fois de plus. Ses soins furent efficaces. Il les
ménagea toutefois de telle façon que Himmler en eût besoin jusqu’à l’instant où
le convoi s’arrêta en gare de Berlin.
— Vous voyez, dit alors le
docteur à son malade ; vous voyez, c’est déjà plus long, plus difficile.
Vous avez encore en tête cette histoire de déportation. Il faut vous en
libérer, sinon tout recommence.
— Oh ! soyez tranquille,
cher Kersten ! J’ai compris, dit Himmler.
De la gare même, il se fit conduire
chez Hitler. Deux heures plus tard, il téléphonait à Kersten.
— Le Führer est aussi magnanime
que génial. Il a eu compassion de ma fatigue. La déportation est remise. J’ai
l’ordre écrit. Je vous le montrerai.
Élisabeth Lube se trouvait auprès de
Kersten tandis qu’il écoutait le message incroyable. Il le lui répéta mot pour
mot. Ensuite, ils restèrent longtemps côte à côte sans pouvoir parler.
8
Épuisé par tant d’émotions, Kersten
alla se reposer à Hartzwalde. Il ne dit rien à sa femme des épreuves qu’il
venait de traverser pendant les dernières semaines. Mais il alla cueillir des
fleurs dans son jardin et les plaça devant les portraits signés de Wilhelmine,
reine de Hollande, et de son mari, le prince Henri, qu’il gardait sur son
bureau malgré la haine implacable que leur portaient les nazis.
CHAPITRE VII
Génocide
1
Pendant tout le débat sur la
déportation du peuple hollandais, Himmler ne soupçonna jamais Kersten d’avoir
obéi à d’autres mobiles que le devoir du médecin et la sollicitude amicale.
Hitler, de son côté, admit sans la
moindre méfiance les motifs – santé, trop de tâches essentielles et
simultanées, hiérarchie des problèmes – que lui donna le Reichsführer pour
suspendre l’exode. Et comment Hitler eût-il imaginé que son séide le plus
ancien, le plus fidèle, le plus zélé et le plus soumis ait pu tomber sous une
autre influence que la sienne ?
Mais il y avait un homme que ses
fonctions et son caractère prédisposaient à moins de crédulité. Heydrich pensa
tout de suite au docteur Kersten. Il ne pouvait rien pour l’instant. Il
attendit.
2
Dans le très haut personnel du
régime, Himmler était le seul qui disposât de Kersten comme de son médecin
permanent et privé. Mais d’autres grands dignitaires se faisaient à l’occasion
traiter par lui.
Le premier fut Ribbentrop. Kersten
détestait le ministre des Affaires étrangères du III e Reich
pour sa vanité, sa jactance, son arrogance et pour une bêtise qu’il estimait
confondante à un poste capital. Ces sentiments, le docteur les traduisit en
demandant à Ribbentrop des honoraires si considérables que le ministre arrêta
sa cure.
Puis vint Rudolph Hess. À son égard,
Kersten n’éprouva pas la même animosité. Le déséquilibre mental de Hess était
évident. Mais à la mesure des fous et demi-fous qui dirigeaient le III e Reich
et dont la démence avait un tour répugnant et dangereux –
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