Les Mains du miracle
de dés
suprême. Quelques propos de Himmler et surtout sa hâte furieuse pour porter à
un million l’armée des Waffen S.S. avaient suffisamment informé le docteur. Des
préparatifs d’une pareille envergure annonçaient une nouvelle guerre, et
immense.
Dans la journée même du
21 juin, le train spécial de Himmler se mit en route vers les marches de
l’Est. Sur l’exigence formelle du Reichsführer, Kersten s’y trouvait. Il partit
avec le sentiment d’être un prisonnier. La Finlande avait également pris les
armes contre la Russie. Elle s’associait à une mauvaise cause et que le docteur
jugeait à l’avance perdue. Son pays cessait d’être neutre, pour devenir
l’allié, le partenaire du III e Reich. Kersten voyait sa liberté
se rétrécir encore.
L’endroit choisi pour le Quartier
Général mobile de Himmler était, en Prusse-Orientale, un grand bois en partie défriché
et sillonné de voies ferrées. Le train du Reichsführer se gara sur l’une
d’elles et le travail habituel de son état-major commença : espionnage
policier, arrestations, établissement de camps de concentration, supplices,
exécutions sommaires.
Autour du train spécial, des
baraquements nombreux s’élevaient pour les services et les troupes de garde.
L’un d’eux abritait même une salle de cinéma qui pouvait recevoir cinq cents
spectateurs. À l’écart, une demi-douzaine de grands abris bétonnés étaient dissimulés
sous les arbres.
Himmler se rendait chaque nuit
auprès de Hitler dont le Grand Quartier se trouvait, comme toujours, à faible
distance, et revenait très tard. À son réveil, Kersten le soignait. Le reste de
la journée, le docteur n’avait rien à faire.
Les repas lui étaient pénibles. Il
les prenait dans le wagon-restaurant qui servait de mess à l’état-major de
Himmler. Les premiers succès remportés sur les Russes enivraient les officiers
nazis. Ils étaient tous persuadés que leur victoire serait absolue et
foudroyante. Ils voyaient déjà le Grand Reich s’étendre jusqu’aux monts Oural.
Et déjà – ne faisant que répéter les assurances de Himmler qui les tenait
lui-même de Hitler – ils se distribuaient les dépouilles de l’immense pays
réduit en esclavage.
— Chaque soldat allemand,
affirmaient-ils, aura en Russie son domaine. Ce sera le paradis germanique.
— Je veux une usine, disait
l’un.
— Je choisirai un château,
criait l’autre.
Pour échapper à ces propos et
tromper son ennui, Kersten avait recours à de menues occupations quotidiennes.
Tandis que le sort du monde se jouait dans les batailles gigantesques d’un
front qui allait de la mer Blanche à la mer Noire, Kersten cherchait des
champignons dans le bois, les faisait sécher dans un four à pain pour les envoyer
à Hartzwalde, cueillait des fraises sauvages, se promenait beaucoup, mettait en
forme dans son journal les notes de plus en plus nombreuses qu’il prenait
rapidement.
Le soir, il allait au cinéma, où
l’on montrait chaque fois un nouveau film. Outre ceux qui, faits en Allemagne,
étaient de consommation courante, on voyait sur l’écran des films anglais,
américains ou russes, pris par les nazi ». Ces projections étaient
réservées à Himmler et à ses officiers principaux. Kersten avait le droit d’y
assister. Mais les sièges du cinéma de campagne étaient très primitifs, très
étroits, et la corpulence massive de Kersten en souffrait. Il s’en plaignit à
Himmler. Le Reichsführer fit installer alors, pour l’usage exclusif du gros
docteur, un fauteuil de cuir ample, confortable, bien adopté à sa nature.
De temps en temps intervenait une
autre distraction nocturne : le grondement des avions russes au-dessus du
bois où se camouflait le Q.G. de Himmler. Le Reichsführer, alors, même si
l’alerte durait seulement quelques minutes, se précipitait en courant vers son
abri et sa longue chemise de nuit en flanelle blanche battait contre ses
mollets maigres.
Ce fut dans ces besognes et ces
divertissements que Kersten eut à passer deux mois. Ils lui semblèrent
interminables. Mais Himmler, à qui la rapide avance allemande donnait chaque
jour plus de travail dans le domaine de la surveillance et de la répression,
souffrait trop pour le laisser partir.
Enfin, vers la mi-octobre, Himmler
se sentit mieux. Kersten put regagner Berlin.
5
Un hiver précoce et d’une terrible
rigueur arrêta les opérations en Russie, pétrifia les armées
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