Les Mains du miracle
stupide. Il les reporta
sur Himmler. Il vit alors que ce dernier commençait à triturer la monture de
ses lunettes.
— Le plus grave, lui dit Himmler,
c’est que le docteur a failli perdre son emploi ici même… Et par vos soins.
Maintenant, les lunettes du
Reichsführer, agitées par ses doigts fébriles, montaient et descendaient en
saccades le long de l’arête du nez et, sur le front, des sourcils à la
naissance des cheveux. Kaltenbrunner savait mieux que personne reconnaître en
ces mouvements un signe de colère dangereuse. Il eut peur et on le vit.
Himmler dit avec une dureté
impitoyable :
— Écoutez-moi bien,
Kaltenbrunner : vous n’auriez pas survécu à Kersten plus d’une heure. Vous
m’avez bien compris ?
— Parfaitement, Reichsführer,
dit le chef de la Gestapo.
— Je l’espère, reprit Himmler
sur le même ton sans merci. Et j’espère que vous et le docteur Kersten vous
vivrez longtemps et en bonne santé. J’attache beaucoup trop d’importance à
cette question pour qu’il en soit autrement. Je n’admettrai aucun hasard dans
ce domaine. Retenez bien ceci, cher Kaltenbrunner : il serait très, très
dangereux pour vous qu’il arrivât le moindre accroc à la santé du docteur
Kersten.
Le repas se termina, comme il avait
commencé, en silence. Kersten s’y montra très frugal. Le fait d’avoir pour
vis-à-vis l’homme qui avait voulu et failli être son assassin lui coupait
l’appétit.
Il n’attendit même pas qu’on servît
le café pour se retirer dans le compartiment de wagon-lit qui lui était
réservé. À l’ordinaire, il y faisait une sieste. Mais, ce jour-là, il n’avait
pas davantage sommeil que faim. Il sortit de sa valise le cahier où il tenait
son journal et nota les détails de la scène à laquelle il venait de prendre
part.
Ensuite, le docteur s’allongea sur
sa couchette et se mit à songer. Il pensa au hasard providentiel qui lui valait
d’être encore en vie. Il pensa que, maintenant, il était à l’abri des
embuscades de la Gestapo, puisque l’existence de Kaltenbrunner répondait de la
sienne. Mais, pour garantir sa sécurité, il fallait tout le pouvoir immense de
Himmler et le besoin absolu que celui-ci avait de ses soins. Combien d’hommes,
qui ne jouissaient pas de cette protection, étaient poursuivis par
Kaltenbrunner ou par des gens pareils à lui ! Ceux-là étaient condamnés
sans recours, sans histoire.
À cause du danger qu’il avait couru,
Kersten se sentit plus proche, plus solidaire que jamais de ces malheureux.
CHAPITRE XII
Contrat au nom de l’humanité
1
L’assassinat manqué ne fit que
renforcer l’amitié de Himmler pour Kersten. Parce qu’il avait failli le perdre,
son docteur miraculeux lui devint encore plus indispensable et plus cher.
Kersten sut profiter de ces dispositions. Quand il partit, au bout d’une
semaine, pour son domaine, le Reichsführer était sur le point d’accepter le
plan de Gunther.
Le lendemain de son arrivée à
Hartzwalde, le docteur reçut la visite de M lle Hanna von
Mattenheim. C’était une amie de Karl Venzel, le plus grand propriétaire terrien
d’Allemagne, homme d’une soixantaine d’années, que Kersten soignait depuis
longtemps et pour lequel il avait une estime et une reconnaissance très vives.
En effet, Venzel avait, sans ménager son temps ni ses efforts, conseillé
Kersten pour l’achat de Hartzwalde et l’avait guidé de ses avis précieux dans
l’exploitation de ce domaine.
M lle von Mattenheim
dit au docteur :
— Depuis le 31 juillet,
c’est-à-dire depuis dix jours, notre bon ami Karl a disparu. On parle de son
arrestation, mais on ne sait rien de précis. Tous ceux qui tiennent à lui sont
affreusement inquiets.
Kersten appela aussitôt Brandt, par
téléphone, au Q.G. de Himmler, en Prusse-Orientale. Mais Brandt ne savait rien
au sujet de Venzel. Tout ce qu’il pouvait dire c’est que des milliers et des
milliers de personnes avaient été arrêtées à la suite de l’attentat contre
Hitler.
Brandt promit à Kersten qu’il ferait
tout pour obtenir les informations nécessaires et Kersten promit à M lle von
Mattenheim que, si un malheur était arrivé à Venzel, il userait de toute son
influence auprès de Himmler en sa faveur. Elle partit rassurée.
Trois jours plus tard, Kersten reçut
la visite d’une autre de ses amies, M me Imfeld, d’origine
allemande, mais devenue suisse par mariage. Elle aussi venait demander
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