Les Mains du miracle
avait
peur de faire un faux pas, de tomber dans un piège. Brandt comprit la
signification de ce silence.
— Vous avez entendu la
radio ? demanda-t-il.
— Oui… en effet… oui, dit
Kersten en hésitant.
— Parfait, dit Brandt. Voici
exactement le message que vous adresse Himmler à ce sujet : « Soyez
sans inquiétude. »
Brandt raccrocha. Le docteur
considéra un instant l’écouteur sans faire un mouvement. Himmler avait tenu à
le rassurer… Himmler avait dit…
Kersten alla s’asseoir dans son
fauteuil.
Oui, les crampes de Himmler lui garantissaient
sa sécurité et celle de sa famille. Mais qu’allait devenir la mission que
Gunther lui avait confiée ?
5
Le 8 septembre 1944, le
train spécial de Himmler amena Kersten à Hochwald. L’ordonnance du Reichsführer
l’attendait sur le quai pour le conduire directement au baraquement où logeait
celui-ci. Le docteur était assez anxieux. Il savait combien Himmler pouvait
changer d’humeur selon l’état de sa santé. Or, depuis sa dernière conversation
téléphonique avec Brandt, non seulement Kersten n’avait pas entendu parler de
Himmler, mais encore la Finlande, poussant son attitude aux conséquences
extrêmes, avait déclaré la guerre à l’Allemagne.
Par chance, il rencontra Brandt sur
le chemin qui le menait au baraquement de Himmler.
— Vous voilà enfin !
s’écria Brandt. Le patron va très mal.
— Merci, dit Kersten. Vous ne
pouviez pas me donner meilleure nouvelle.
Le docteur trouva Himmler couché sur
son méchant lit de bois. Le Reichsführer ne bougea pas en apercevant Kersten.
Son corps était tendu, crispé, noué. Ses yeux gris sombre, fixés sur le
docteur, avaient une expression d’une intensité inquiétante et dont Kersten ne
put comprendre si elle était souffrance ou haine.
Sans un mot d’accueil, sans la
moindre transition, Himmler éclata en invectives, menaces, injures contre la
Finlande et ses dirigeants.
— Vous autres, Finnois,
criait-il, quelle sale bande de traîtres ! Je voudrais bien savoir ce que
ces ordures de Rytti et de Mannerheim ont touché des Anglais et des Russes pour
se vendre aux bolcheviks. Je n’ai qu’un regret : ne pas avoir fait pendre
ces cochons avant ! (La voix de Himmler montait, montait de ton.) Oui, les
pendre ! Et liquider tout le peuple finlandais ! D’un seul
coup ! Il ne méritait que ça ! Hitler me l’a dit cette nuit…
Exterminer… Exterminer !
Pour une fois, Kersten laissait à
Himmler toute liberté de hurler, de glapir sa fureur. Il ne répondait rien. Il
savait que les crampes devenaient plus déchirantes dans la mesure même où
croissait la colère enragée de son malade.
Soudain, l’écume aux lèvres, Himmler
cria sur une note encore plus aiguë et plus hystérique :
— Mais qu’est-ce que vous
fabriquez à rester là immobile et muet comme un bout de bois ! Faites
quelque chose, nom de Dieu de nom de Dieu ! Je n’en peux plus ! J’ai
trop mal.
Kersten se mit à l’œuvre, afin de
soulager ses tourments. Et la magie dont Himmler avait connu le premier
bienfait dès 1939, au dernier printemps de paix, retrouva tout de suite les
canaux et les ramifications par où cheminaient ses effluves. Le vieux mécanisme
joua sans effort, sans bavure. Himmler sentit descendre en ses nerfs la
bénédiction de la détente, du repos. Il respirait mieux à chaque seconde et
enfin librement. La douleur cédait, s’amenuisait, s’atténuait, s’en allait. Il
connut de nouveau la félicité des convalescents. Des larmes de gratitude
embuèrent ses yeux pour l’homme qui, encore une fois, l’avait sauvé de
l’abominable torture. Cet homme appartenait à un peuple félon ? Belle
affaire en vérité ! Il n’existait aucune commune mesure entre ces traîtres,
ces chiens, et le bon docteur Kersten qui le soignait avec tant de succès et de
dévouement.
Le regard de Himmler s’arrêta sur
les mains du docteur. Voilà cinq années que, fortes, douces, habiles,
miraculeuses, elles extirpaient la souffrance de son corps. Et, depuis cinq
années, le docteur était le seul homme au monde auquel Himmler avait pu livrer
toujours davantage ses espoirs, ses craintes, ses rêves. Quel médecin !
Quel confident ! La Finlande aurait pu se montrer cent fois plus ignoble encore –
et perfide – que Kersten restait le guérisseur, l’ami, le Bouddha
bienfaisant. Malheur à qui oserait toucher un seul de ses cheveux !
Toutes ces
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