Les Mains du miracle
soigner. Himmler
se sentit très vite beaucoup mieux. Il y eut une pause dans le traitement.
— Quelle chance j’ai, cher
monsieur Kersten, dit Himmler, de vous voir dès que j’ai besoin de vous.
— Cette fois, pourtant, dit le
docteur du ton le plus paisible, cette fois vous avez bien failli ne plus me
voir du tout.
— Pourquoi ?
Comment ? s’écria Himmler.
— Je crois que j’ai échappé à
un grand danger, répondit Kersten. À un danger de mort… À un assassinat.
Himmler considéra un instant Kersten
avec une sorte d’embarras.
— Je ne comprends point,
dit-il. Vous plaisantez ou bien…
Kersten éleva un peu la voix. Elle
vibrait d’une émotion qu’il n’arrivait pas à contenir.
— J’ai des raisons de croire,
dit-il, que Kaltenbrunner a voulu me faire tuer.
Himmler cria :
— Allons donc ! Rien ne
peut se passer en Allemagne sans que je le sache.
— Hé bien, pour une fois, vous
ne saviez pas.
Himmler, d’une secousse, s’assit sur
le bord de son lit.
Ses doigts, sans qu’il s’en aperçût,
tiraient fébrilement sur les boutons de sa chemise de nuit.
— Mais quoi donc ?
s’écria-t-il. Qu’est-ce que je ne sais pas ?
Kersten prit dans sa poche les deux
messages de Schellenberg, les tendit au Reichsführer en disant :
— Lisez, je vous prie.
Himmler arracha les lettres des
mains du docteur, les parcourut.
— Mon Dieu ! Mon
Dieu ! s’écria-t-il. Ce n’est pas possible ! Mon Dieu.
Il étendit un bras, appuya sur la
sonnette placée au chevet de son lit. Un Waffen S.S. de garde accourut.
— Brandt ! Tout de
suite ! ordonna Himmler.
Le secrétaire particulier fut dans
la pièce un instant plus tard.
Toujours assis sur son lit de bois
grossier et couvert seulement de sa chemise de nuit, Himmler dit très vite et à
mi-voix :
— Écoutez, Brandt. J’ai une
mission de la plus haute importance à vous confier. Et il faut l’accomplir avec
une discrétion extrême. Lisez ces lettres… Bien… Vous est-il possible de savoir
à Berlin si tout cela est vrai, sans que personne ne se doute que vous faites
une enquête à ce sujet ?
— Comptez sur moi,
Reichsführer, dit Brandt.
6
Dès le lendemain, Brandt était de
retour.
Il n’expliqua pas où ni comment il
avait trouvé ses renseignements. Ce n’était pas nécessaire. Les services
secrets ont leur loi comme la jungle. Kaltenbrunner entretenait des agents
doubles dans les réseaux de Schellenberg et Schellenberg avait les siens dans
ceux de Kaltenbrunner. Et Brandt, pour le compte de Himmler, payait en argent
et en protection les informateurs de premier ordre qu’il s’était ménagés aussi
bien dans l’entourage du chef de la Gestapo qu’auprès du chef de l’espionnage.
Tout cela – sur un fond trouble de rivalité, de méfiance, de haine qui
parfois allaient jusqu’au crime.
Ce fut au moment où Himmler se
faisait soigner que Brandt reparut à Hochwald. Il lui remit son rapport en
présence de Kersten.
Le Reichsführer et le docteur en
prirent connaissance ensemble.
Schellenberg n’avait dit que la
vérité. Kaltenbrunner avait minutieusement préparé un guet-apens pour
assassiner Kersten. Sans l’avertissement reçu par le docteur, le guet-apens ne
pouvait manquer de réussir.
Le rapport en démontait le
mécanisme.
Kaltenbrunner qui, après leur
travail jumelé de bourreaux, était revenu à Hochwald avec Himmler, avait appris
de ce dernier, le 31 juillet au soir, que, le jour suivant, Kersten serait
rappelé de son domaine au Q.G. Cela signifiait qu’il devait prendre le train
spécial à Berlin, le 1 er août, dans l’après-midi.
Les services de Himmler savaient
que, pour se rendre de Hartzwalde à Berlin, le docteur suivait toujours la
route la plus courte, qui passait par Oranienbourg. Or, vingt kilomètres avant
cette ville, le docteur avait à traverser un petit bois planté des deux côtés
de la route.
Dans la nuit du 31 juillet au 1 er août,
Kaltenbrunner avait donné par téléphone à ses collaborateurs les ordres
suivants :
Vingt agents de la Gestapo, choisis
parmi les plus sûrs, et armés de mitraillettes, devaient se rendre
immédiatement au petit bois situé entre Oranienbourg et le domaine de Kersten
et, profitant de l’obscurité, s’y embusquer à droite et à gauche de la route.
Ce commando était chargé d’attendre
le passage de la voiture du docteur que l’on connaissait bien et de l’arrêter
pour
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