Les Mains du miracle
pareille occasion, envoya le soldat se restaurer et
se rafraîchir à la cuisine. Puis il décacheta la lettre paisiblement et sans
grande curiosité. Schellenberg expédiait souvent à Kersten une note ou une
réponse confidentielles pour l’éclairer ou l’épauler dans ses démarches auprès
de Himmler.
L’enveloppe renfermait une lettre
écrite sur papier de format ordinaire. Mais cette feuille en contenait une
autre beaucoup plus petite, pliée en quatre, qui tomba par terre sans que le
docteur s’en aperçût. Il s’adossa confortablement contre sa voiture, posa sa
canne près de lui et se mit à lire.
Dès qu’il eut compris les premiers
mots, les traits de son visage devinrent comme pétrifiés. Schellenberg
écrivait :
« Attention… Kaltenbrunner a
pris des mesures pour vous faire assassiner. Soyez d’une prudence extrême. Le
danger est imminent. Malgré toute la protection que Himmler vous accorde,
Kaltenbrunner a décidé de vous tuer. »
Le message s’arrêtait là. Kersten
respira profondément et secoua la tête, comme étourdi par un coup violent. Il
aperçut alors la feuille de format plus réduit qui gisait à ses pieds. Il la
ramassa avidement. Elle disait : « Ne suivez pas votre itinéraire
habituel par Oranienbourg. Prenez l’autre route, celle qui fait le détour par
Templin. Votre chemin habituel est un risque de mort. »
Le premier mouvement de Kersten,
tout instinctif, fut de retourner dans sa maison et prendre au fond d’un tiroir
le gros revolver qu’il avait le droit de porter par une autorisation spéciale
de Himmler. Il l’enfouit dans la poche de son manteau. Après quoi, il se mit à
réfléchir. Fallait-il suivre l’avis de Schellenberg ? Sans doute, leurs
rapports étaient excellents. Mais cela ne suffisait point pour qu’il eût une
confiance aveugle dans le chef de l’espionnage des Waffen S.S. Le seul ami véritable
et sûr qu’il possédait parmi les hommes qui entouraient Himmler était Brandt.
L’ambition et ses calculs glacés dominaient tout pour Schellenberg. Son conseil
pouvait être une ruse, un stratagème, voire un moyen de se débarrasser de
Kersten. Pour quelle raison ? Au profit de qui ? Comment le deviner
dans cette guerre larvée, mais impitoyable, d’intrigues et de contre-intrigues
que se livraient, pour la prééminence, les lieutenants de Himmler ?
Le docteur essuya d’une main
quelques gouttes de sueur sur son visage. L’autre serrait le revolver dans la
poche de son manteau léger.
« Du calme, se dit Kersten…
Raisonnons ! »
Il repassa dans son esprit tout ce
qu’il connaissait du caractère de Schellenberg. Celui-ci n’avait auprès du
Reichsführer qu’un rival dangereux, qu’un ennemi juré : Kaltenbrunner. Or,
c’était juste l’instant où un sanglant travail exécuté en commun avec Himmler
donnait au chef de la Gestapo le plus de chances pour supplanter le chef de
l’espionnage dans la faveur du maître.
Devant une menace aussi grave,
l’intérêt de Schellenberg devait l’inciter non seulement à ménager le docteur,
mais encore à lui rendre un service insigne – afin que Kersten, par
réciprocité, le soutînt auprès de Himmler contre Kaltenbrunner. C’était, pour
Schellenberg, le meilleur moyen de redresser le fléau de la balance.
Un bruit de moteur à deux temps
s’éleva dehors. Kersten sortit de sa maison pour voir le motocycliste S.S.
disparaître au tournant de l’allée.
Kersten monta dans sa voiture et dit
à son chauffeur : – On part… Mais aujourd’hui nous ne passerons point
par Oranienbourg… J’aime mieux l’autre route, celle de Templin… pour changer un
peu.
Le voyage se fit sans le moindre
incident. Kersten arriva en gare de Berlin à l’heure voulue pour prendre le
train spécial affecté au Q.G. de Himmler. Une fois enfermé dans son
compartiment, Kersten relut avec attention les deux lettres de Schellenberg. Il
était démontré qu’elles n’avaient pas servi de piège. Mais comment deviner si
l’avis qu’elles donnaient n’était pas une invention, un bluff pour mériter, à
bon compte, la reconnaissance que l’on doit à un sauveur ?
5
Kersten arriva le lendemain matin à
l’embranchement de voies ferrées qui desservait Hochwald. La voiture
personnelle de Himmler l’y attendait pour le conduire sans délai au baraquement
du Reichsführer. Le docteur le trouva allongé sur son mauvais lit et tordu de
crampes.
Il commença par le
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