Les Mains du miracle
vérification de papiers. Dès que le chauffeur aurait obéi, les hommes de
Kaltenbrunner avaient pour instruction de l’abattre en même temps que Kersten.
Après quoi la voiture serait percée de balles comme une écumoire.
L’assassinat exécuté, le chef du
commando devait rejoindre Kaltenbrunner en tout hâte et lui annoncer que des
automobilistes auxquels il avait donné l’ordre de stopper ne l’avaient pas fait
et qu’il avait été obligé de faire tirer sur eux. Et un grand malheur était
arrivé : parmi les occupants de la voiture se trouvait le docteur Kersten
qui avait été tué.
Il ne serait plus resté à
Kaltenbrunner qu’à se présenter devant le Reichsführer et lui offrir toutes ses
excuses, tous ses regrets.
Le rapport s’achevait là-dessus.
— C’était donc vrai, murmura
Himmler.
Sa voix demeurait incrédule.
— Et vous ne pouviez rien
reprocher à Kaltenbrunner ni à ses hommes, Reichsführer, dit Brandt. Il avait
trouvé un prétexte inattaquable. Vous vous rappelez votre propre circulaire à
propos des prisonniers de guerre évadés, qui volent souvent des automobiles
pour arriver plus vite aux frontières : tirer immédiatement sur les
voitures qui ne s’arrêtent pas à la première sommation.
— C’était donc vrai !
répéta Himmler.
Mais, cette fois, sa voix était
devenue plus aiguë et il faisait glisser ses lunettes de haut en bas et de bas
en haut sur son front.
Kersten dit lentement :
— Alors… si Schellenberg…
Il n’acheva pas. Il avait la bouche
trop sèche.
— Oui, dit Brandt… Oui… Vous
avez eu la chance qu’il ait été averti du complot par un aide de camp personnel
de Kaltenbrunner qui est à sa solde.
— Juste à temps, murmura
Kersten.
Il pensait au motocycliste qui
l’avait rejoint dans son domaine au moment même où il allait en partir… Et il
voyait le petit bois, avant Oranienbourg, qu’il connaissait si bien et son
fidèle chauffeur mitraillé à bout portant… et lui-même…
Himmler s’habilla avec une
brusquerie furieuse. Quand il eut mis son uniforme, il regarda sa montre. Il
était deux heures.
— Nous allons déjeuner, dit
Himmler à Kersten.
Puis à Brandt :
— Transmettez à Kaltenbrunner
que je le veux avec nous.
7
Un wagon-restaurant attaché au train
spécial servait de mess au Reichsführer.
Ce jour-là, cinq personnes y
déjeunèrent. À la table pour quatre se trouvaient assis d’un côté Himmler et
Kaltenbrunner, de l’autre, le général Berger et Kersten. Le docteur faisait
face au chef de la Gestapo.
À la table pour deux, séparée par le
passage qui traversait le wagon-restaurant, était assis, seul, modeste, effacé,
Rudolph Brandt.
Le repas commença en silence.
Himmler et Kersten avaient les nerfs trop tendus pour entamer la conversation.
Le général des Waffen S.S. était de nature taciturne. Kaltenbrunner parla le
premier. Il s’adressa au docteur à travers la table, avec une politesse
pesante, empreinte d’une ironie encore plus lourde.
— Eh bien, Herr Doktor,
demanda-t-il, comment vont les choses pour vous, dans cette belle Suède neutre
où vous aimez tant séjourner ?
Les yeux d’un noir mat, la bouche
épaisse et cruelle, les traits durcis – tout chez Kaltenbrunner exprimait,
à l’égard du docteur, une haine portée à un point morbide et qu’il lui était
impossible de dissimuler. Comme Kersten semblait hésiter à répondre, le chef de
la Gestapo reprit, sur un ton de provocation grossière :
— Vos affaires doivent être
excellentes à Stockholm, puisque vous y avez un appartement.
— Eh bien non, dit Kersten très
simplement et en regardant Kaltenbrunner bien en face. Elles sont très
mauvaises. Je suis sans travail là-bas.
Kaltenbrunner, surpris, se rejeta un
peu en arrière.
— Comment ? s’écria-t-il.
Vous aviez du travail en Suède ?
Kaltenbrunner considéra le visage
crispé du Reichsführer qui jouait nerveusement avec sa fourchette, puis la
figure impassible de Berger, et demanda à Kersten :
— Mais quel était donc ce
travail ?
— Vous le savez fort bien,
voyons, répondit Kersten. Depuis cinq ans les services secrets britanniques me
payaient pour tuer le Reichsführer Himmler. Comme je n’ai pas réussi, j’ai
perdu mon emploi.
Kaltenbrunner ne fut pas capable de
cacher le désarroi que lui inspirait une réponse aussi folle. Pour un instant,
ses yeux prirent une expression effarée, stupéfaite,
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