Les Mains du miracle
les
Norvégiens, d’accord : ils seront libérés. Pour les Hollandais, on verra
ensuite.
Kersten remercia le Reichsführer
avec effusion et grandiloquence. Il ajouta :
— Vous pourriez encore prendre
une mesure qui établirait à jamais votre gloire. La Suisse est prête à
recueillir vingt mille internés juifs. Une simple signature de vous y
suffirait.
Instinctivement, Himmler tourna la
tête vers la colline au sommet de laquelle vivait son maître. Et il baissa la
voix pour dire :
— Ce que vous demandez est
terriblement difficile. Tout ce qui touche aux Juifs est terriblement
difficile.
Mais Kersten insista, revint à la
charge chaque jour, infatigablement, inépuisablement. Himmler finit par céder à
moitié.
— Attendons que vous reveniez
de Suède.
Par ces mots, et avant que le
docteur le lui ait demandé, il autorisait le troisième voyage à Stockholm.
— Je compte partir fin
septembre, dit Kersten.
On était fin août. Himmler traversa
de nouveau l’Allemagne pour rejoindre son Q.G. en Prusse-Orientale. Kersten
s’arrêta à Hartzwalde. La réussite du grand dessein ne faisait plus de doute
pour lui, maintenant.
Un nouvel obstacle se dressa tout à
coup et, de tous, le plus dangereux.
4
Le premier soin et la première joie
du docteur, quand il retrouva les siens, fut d’annoncer à sa femme qu’elle
avait à prévoir et à préparer son départ définitif d’Allemagne avec leurs trois
garçons.
— Tu as vraiment l’autorisation
de Himmler pour nous tous ? s’écria Irmgard Kersten.
— Je l’aurai, dit le docteur.
Sa confiance en moi est arrivée au point où je peux vous laisser à Stockholm
sans qu’il s’en inquiète. Pourvu que je revienne – c’est tout ce qu’il
demande.
Les deux époux convinrent alors des
meubles et des objets qu’ils pourraient emmener pour l’installation de la
famille en Suède. Il fut également décidé qu’Élisabeth Lube, en l’absence de la
femme du docteur, dirigerait le domaine.
Kersten reprit sa douce routine de
Hartzwalde : gros repas, sommeils profonds, rêveries, promenades. Depuis
longtemps il n’avait connu une telle paix intérieure, car elle était nourrie de
la certitude qu’il avait d’apporter bientôt une réponse favorable à Gunther.
Le surlendemain de son arrivée, au
moment de partir pour sa promenade habituelle à travers les bois touchés déjà
par les teintes de l’automne, le docteur consulta machinalement sa montre, vit
qu’il était l’heure des informations, tourna le bouton de la radio. Et soudain
tous ses projets, les plus immédiats comme les plus lointains, lui parurent
inutiles, absurdes.
Avant même de lire le communiqué
militaire, le speaker annonçait la nouvelle capitale du jour : la Finlande
avait demandé un armistice à la Russie et rompu les relations diplomatiques
avec l’Allemagne.
Le pays auquel appartenait Kersten
non seulement n’était plus allié au III e Reich, mais
l’abandonnait, passait au camp adverse !
Le speaker continuait de
parler : l’ambassadeur de Finlande, quoique protégé par son statut, était
assigné à résidence forcée.
L’ambassadeur Kivimoki, le grand ami
de Kersten…
Kersten regarda par la fenêtre, vit
le bon cheval attelé qui l’attendait paisiblement, haussa les épaules. Cette
promenade n’avait plus de sens. Et son voyage en Suède, pas davantage. Le
speaker égrenait d’autres nouvelles. Kersten fit taire sa voix. Il
pensait : « Rien de mieux ne pouvait arriver à la Finlande. Mais que
va-t-il advenir de moi, de ma famille, des plans que nous avions faits avec
Gunther ? »
Il alla s’asseoir à son bureau, la
tête entre les mains, et tenta de réfléchir. En vain. Une seule idée
l’obsédait : Kaltenbrunner allait bien rire maintenant !
Enfin Kersten se leva d’un mouvement
lourd et alla téléphoner à Brandt. Il était sûr que le tout premier propos de
celui-ci aurait pour objet le revirement de la Finlande. Mais le secrétaire
particulier du Reichsführer s’adressa au docteur comme si rien n’était arrivé
de nouveau. Il parla simplement, affectueusement, ainsi qu’à l’ordinaire. Puis
il transmit à Kersten les amitiés de Himmler et l’informa que ce dernier allait
partir en voyage dans quelques instants, mais qu’il priait le docteur d’être à
Hochwald le 8 septembre.
Kersten gardait l’écouteur à la
main, sans se résoudre à répondre, ni à poser la question essentielle. Il
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