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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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attentif s’était déjà répandu autour de lui. François-Joseph avait compté jusqu’à dix avec lenteur et concentration en vérifiant l’expression de son visage et le port de sa tête dans le miroir sur pied de sa chambre à coucher. Confier au hasard la grande scène du lendemain eût été une erreur. Quelle mine devait-il afficher devant une foule suspendue à ses lèvres ? Devait-il lever un peu plus le menton ? Prendre un air de magnanime autorité ou au contraire de froide résolution ? Et devait-il tressaillir au moment où le premier coup de feu retentirait ? Ou plutôt limiter ses mimiques au strict minimum du stoïcisme et se contenter de lever la main droite pour calmer la panique qui ne manquerait pas de survenir aussitôt ?
    L’empereur fit deux pas en arrière, lissa sa veste d’uniforme du plat de la main et en arriva à la conclusion qu’une nouvelle répétition s’imposait. Il fallait à tout prix que le numéro se déroulât sans heurt. Il tourna la tête sur le côté et dit, sans quitter des yeux son reflet dans le miroir : — Encore une fois, Rottner. À mon signal.
    Son valet de chambre, Rudolf Rottner, s’inclina. Il tenait de la main droite une tapette à mouches et de la gauche une clochette. Sur un signe de Son Altesse, il avait déjà agité celle-ci une douzaine de fois, puis compté en silence jusqu’à dix avant de claquer la tapette à mouches contre un carton à chapeau posé sur le lit impérial. À chaque sonnerie, Sa Majesté avait inspiré profondément et fait deux pas en direction du miroir, puis, après le paf de la tapette à mouches, il avait relevé le menton et esquissé une grimace, à vrai dire chaque fois un peu différente. Son Altesse ne lui avait pas expliqué le sens de ses actes. Et bien entendu, il n’avait pas posé la question.
    À nouveau, l’empereur leva le bras – le signal convenu. Aussitôt, Rottner agita la clochette, puis compta lentement jusqu’à dix. Dans l’intervalle, François-Joseph s’approcha du miroir, le dos raide, et tendit le menton. Quand la tapette à mouches s’abattit sur le carton à chapeau, paf, il tressaillit une fraction de seconde avant de tourner le regard vers le plafond et de lever la main droite. Il resta un moment dans cette position tandis que ses lèvres bougeaient. Enfin, il fit volte-face et hocha la tête d’un air satisfait.
    — Ce sera tout, Rottner.
     
    Tout en regagnant son cabinet de travail pour jeter un coup d’œil par la fenêtre, François-Joseph s’étonna que jusqu’à présent son plan audacieux ait fonctionné à merveille. Il était certes regrettable que le commissaire ait failli périr sur ce maudit bateau, mais, autant qu’il pût savoir, il avait déjà repris ses fonctions. Il aurait donc l’occasion de le voir le lendemain soir et de lui adresser quelques paroles. L’empereur s’étonnait aussi de n’avoir rencontré aucune difficulté lors des nombreuses audiences accordées à des notables locaux au cours de l’après-midi. Les Vénitiens étaient si différents des Tchèques mal dégrossis ou des Hongrois insoumis ! Ils faisaient preuve de politesse, exposaient leurs requêtes avec modestie, et quand on se voyait obligé de leur opposer un refus, ils le prenaient avec flegme. Ou faisaient-ils juste semblant ? Avec les Italiens, on ne savait jamais.
    François-Joseph écarta le rideau, ouvrit le battant de la fenêtre qui coinçait et baissa les yeux sur la place Saint-Marc illuminée par les becs de gaz. Parviendrait-il à voir la tribune d’où, quelques heures plus tard, il calmerait la panique naissante d’un geste énergique ? Il se pencha à l’extérieur, tourna la tête vers la droite et constata avec déception que le Campanile lui bouchait la vue.
    Lorsqu’il entendit un bruit sourd contre la porte derrière lui, il leva les bras en l’air sans le vouloir. Mais ce n’était qu’un laquais qui avait frappé pour annoncer son officier d’ordonnance.
    Dès qu’il fut entré, le comte Crenneville s’inclina et dit d’une voix nerveuse : — Toggenburg m’a rendu visite en compagnie du commandant de police.
    Il tenait à la main une grande enveloppe marron. L’empereur fronça les sourcils.
    — Ils sont venus ensemble ? Que voulaient-ils ?
    — Le commissaire Tron a découvert que demain après-midi, un membre de l’armée allait tirer sur Sa Majesté depuis le toit du palais royal.
    Le souverain écarquilla les yeux.
    — Comment a-t-il fait

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