Les Médecins Maudits
second chapitre du froid. La campagne de Russie avait prouvé que le « froid sec » des steppes ventées, était de loin, le meilleur allié des troupes soviétiques. Rascher pouvait écrire le 4 avril 1943:
— Grâce à Dieu, il y a de nouveau une période de gel intense à Dachau…
Quelle aubaine ! même le ciel était avec lui. Moins 8° ! Inespéré. Walter Neff eut une nouvelle promotion. Il devient en quelque sorte le directeur adjoint des expériences… Bien malgré lui… mais tout de même. Écoutons-le :
— Le premier prisonnier fut étendu nu sur un brancard, à l’extérieur du block. Il était recouvert d’un drap et toutes les heures on versait sur lui un seau d’eau froide. Il resta ainsi jusqu’au matin…
Il est difficile d’imaginer la souffrance de cet homme qui se sentait geler de minute en minute, ses hurlements, ses supplications. Mais Rascher ne fut pas satisfait.
— C’est une erreur de l’avoir recouvert d’un drap. L’air n’est pas en contact avec son corps. La nuit prochaine je veux dix « criminels » et surtout pas de drap.
Rascher ne dormait plus, depuis dix-huit jours, que quelques heures seulement au petit matin. Sa fureur expérimentale seule le soutenait. Le dix-neuvième matin il s’approcha de Neff et lui confia :
— Je ne tiens plus le coup. Je vais dormir ces nuits prochaines. Je pense que je peux me reposer sur vous.
Neff décida alors de saboter les expériences.
— Ce soir-là nous donnâmes une anesthésie à l’Evipan à dix prisonniers. Nous laissâmes seulement un détenu dehors jusqu’à dix heures du matin. Nous aurions été prévenus par la lampe rouge des gardes si Rascher était revenu dans le camp. Vers six heures du matin, nous avons rédigé les rapports. Nous indiquions que dix détenus avaient été laissés dehors. C’est pourquoi dans les feuilles établies on peut voir que des déportés sont restés nus pendant toute la nuit à des températures qui pouvaient atteindre 10° au-dessous de 0 sans aucun accident. Un expert verrait tout de suite que c’est une chose impossible. En théorie, nous pratiquâmes une centaine d’expériences alors que réellement nous en fîmes seulement vingt. Pendant les expériences contrôlées par Rascher, trois hommes moururent. Les sujets avaient été laissés quinze heures dehors. La température corporelle la plus basse constatée fut 25°. La plupart des expériences furent faites sous anesthésie. Au début, Rascher ne voulait pas mais les déportés hurlaient tellement qu’il fut obligé d’accepter.
Rascher estimait que sous anesthésie, les résultats obtenus étaient « très peu scientifiques ». Mais comment faire autrement dans un camp ? Le secret ne pouvait être gardé si ces hommes gémissaient et criaient pendant des heures. Une solution : Auschwitz. Là il pourrait installer ses laboratoires dans le « désert » qui entoure le camp. Comme nous connaissons Rascher, nous pouvons être sûr qu’il aurait réussi, mais la découverte d’un déporté chimiste de Dachau : Robert Feix, interrompit brutalement les expérimentations sur le froid sec. Depuis le départ du professeur Holzlöhner, Rascher avait tué plus de quatre-vingts déportés sans compter les prisonniers sur lesquels il expérimentait, seul, dans l’enceinte fermée du four crématoire, des pastilles et des ampoules de cyanure. Il devait tuer là peut-être dix, peut-être cent cobayes humains. On ne le saura jamais. Walter Neff a affirmé :
— Il fabriquait environ soixante à quatre-vingts comprimés par jour. Nous disions entre nous : « Ils sont en train de fabriquer des poisons qui leur permettront de disparaître rapidement lorsque les choses iront mal. »
3
nini, nous serons millionnaires
Quelle mouche avait piqué Rascher ? Il sifflotait sans arrêt alors qu’il aurait dû mourir de jalousie : la troisième série d’expériences intéressant l’Armée de l’Air xvi débutait à Dachau et lui, le grand spécialiste des problèmes aéronautiques, n’était même pas consulté. Il se pencha sur le maroquin rouge de son bureau et écrivit à sa femme :
— Nini, je ne peux t’en dire plus, mais tu peux me croire, nous serons très vite millionnaires.
De ces millions, il rêvait depuis toujours. Il en avait assez de tirer le diable par la queue, de compter sur sa femme et sur Himmler pour changer d’appartement, de rideaux, de domestiques. Le temps des
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