Les Médecins Maudits
je trouverai, je suis si près du but.
18
les enfants de neuengamme
Des dizaines, sûrement des centaines d’autres expériences se déroulèrent dans les camps de concentration. Ceux qui auraient pu témoigner ont été sacrifiés avant la Libération. Si l’on sait par exemple qu’Himmler ordonna des recherches sur l’ictère infectieux et offrit au docteur Dohmen « huit Juifs polonais » pour débuter… Il est impossible de prouver que d’autres recherches furent entreprises dans ce domaine et en particulier par Haagen à Natzweiler. À Buchenwald, des vaccins contre la fièvre jaune furent essayés… Des archives en partie détruites mentionnent également des « essais » sur la grippe, les typhoïdes, la variole, le choléra, la tuberculose…
Sans doute d’autres souffrances, d’autres morts. Schilling ne reconnut-il pas avoir essayé ses « mixtures » sur des paralytiques d’un asile d’aliénés avant de prendre le chemin de Dachau ? Alors dans le secret de ces hospices, avant les opérations d’euthanasie, combien de « médecins maudits » ont-ils opéré ? Je voudrais prendre un dernier exemple « mystérieux ». Pour le résoudre, j’ai fait appel à tous les médecins et infirmiers survivants du camp de Neuengamme. J’ai reçu une vingtaine de réponses. Les faits d’abord :
— « Section spéciale xcviii » . C’était une baraque de bois semblable aux autres, située à côté de l’infirmerie. Les détenus ignoraient absolument ce qui s’y passait. Moi-même, avant de rentrer au laboratoire, je n’avais jamais prêté plus d’attention à cette baraque qu’à ses voisines. Or, chaque matin, un infirmier hollandais apportait dix échantillons d’urine à analyser et chaque semaine, vingt prises de sang passaient également au laboratoire. Intrigué, j’y fus conduit par le professeur Florence, malgré l’isolement absolu qui pesait sur ce service, isolement qui devait être maintenu par les consignes les plus sévères. Et voici ce que je vis.
Il y avait là une vingtaine d’enfants, garçons et filles, de nationalités différentes mais tous de race juive, âgés de quatre à quatorze ans. On les laissait libres de jouer toute la journée, mais ils ne sortaient jamais, sauf dans la petite cour qui se trouvait devant leur porte. Il était défendu de leur apprendre à lire, à écrire. Mais par contre, ils étaient logés très convenablement et fort bien nourris. Ceci de façon qu’on ne puisse pas imputer un affaiblissement à de mauvaises conditions d’existence. Car ces enfants qu’on mesurait, qu’on pesait régulièrement pour lesquels le laboratoire travaillait chaque jour, ces enfants servaient de cobayes. Ce qu’on leur faisait, je n’en sais rien. Je n’avais pas à le savoir. Et au surplus, je n’aurais pas accepté de participer à n’importe quoi. Mais ce que je sais c’est qu’à intervalles réguliers, un professeur du nom de Esmayer, venait de Berlin. Les enfants étaient alors examinés par lui. Certains subissaient des prélèvements chirurgicaux que le professeur emmenait à Berlin aux fins d’analyse. Ce que je sais aussi, c’est que le professeur Florence m’a dit avoir senti au paroxysme la haine qu’il portait à l’Allemagne lorsqu’il avait vu insuffler des bacilles tuberculeux dans les poumons de certaines fillettes, ou encore au spectacle de garçonnets auxquels on avait fait avaler des doses massives de médicaments sulfamidés pour en étudier les effets à loisir.
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Tous les autres déportés que j’ai interrogés n’ont pu m’en dire plus. Bien sûr j’ai appris que certains enfants « portaient en permanence des tubages qui sortaient du nez et de la bouche », que les deux médecins français Florence et Quenouille, chargés de surveiller le block sabotaient les expériences en « tuant les bacilles avant de les injecter ». J’ai appris également que « furent essayés » des vaccins antidiphtériques et qu’une expérience à grande échelle fut montée pour « tester l’eau empoisonnée par des gaz ou des maladies » ; mais, qui ordonna ces recherches ? Qui les conduisait ? Rien !
Florence et Quenouille gardèrent le secret pour ne pas compromettre les chances de survie des enfants ; à quelques jours de la Libération, tous les « cobayes » furent massacrés… Florence, Quenouille et leurs infirmiers néerlandais furent retrouvés pendus à des crocs de
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