Les Médecins Maudits
cet homme grimaçant et gras, tenant entre ses grosses mains ce petit squelette respirant au milieu d’autres enfants mourant de faim. Il précisa encore :
— On ne supprime pas brusquement la nourriture mais on diminue graduellement les rations.
Pfannmueller, directeur de l’asile, s’occupait lui-même de ce service des enfants. Le chef en titre, le docteur Hölzl avait « déserté » comme beaucoup de médecins qui refusèrent, avec courage, d’appliquer le décret d’euthanasie :
— Il ciii me répugne de m’appliquer à cette pratique systématique, après une froide délibération et d’après les principes scientifiques objectifs, alors que l’opération ne comporte pas vis-à-vis du malade de pensées de nature médicale. Ce qui m’a amené à travailler au service des enfants, n’a pas été seulement l’intérêt scientifique, mais dans notre labeur souvent stérile le besoin du médecin d’aider et au moins d’améliorer. Je me sens lié sentimentalement aux enfants, comme à leur sauvegarde médicale et je pense que ce contact sentimental n’est pas nécessairement une faiblesse du point de vue d’un médecin national-socialiste.
Malheur au docteur Hölzl et à ses « frères-fillettes » qui s’indignèrent… Le front ou un camp de concentration tempérèrent leurs ardeurs humanitaires.
« Les enveloppes humaines vides civ » représentaient, en 1939, près de cinq cent mille personnes. Les incurables à « soulager » trente pour cent. Les médecins se surpassèrent. En moins d’un mois tous les asiles, hospices, hôpitaux, reçurent un formulaire. Pour chaque cas, plus de cinquante questions, dont la plupart n’avaient que de lointains rapports avec la médecine : le ministère de l’Intérieur se souciait surtout de savoir si les malades avaient de la famille, qui venait les voir et quand ? Les fiches collationnées étaient transmises aux différents experts. Parmi eux notre bon docteur Hermann Pfannmueller qui « tuait par la faim » les enfants confiés à ses soins.
— Ce n’est pas vrai, je ne me souviens de rien, déclara-t-il au cours de ses interrogatoires.
— Docteur, vous étiez expert ; du 12 novembre au 1 er décembre 1940, les documents que nous possédons indiquent que vous avez expertisé deux mille cinquante-huit questionnaires. En travaillant dix heures par jour, vous n’auriez consacré que cinq minutes à chaque dossier et en fait vous ne vous penchiez sur ces fiches qu’à vos moments de loisir.
— Je ne comprends rien à vos mathématiques.
— Vous souvenez-vous de la lettre du docteur Hölzl qui refusa de pratiquer l’euthanasie ?
— Non cv !
*
* *
Les experts « expédiaient le plus rapidement possible » leur travail. Une fois leur décision prise, elle était considérée sans appel possible. Le ministère de l’Intérieur, pour camoufler l’opération, avait créé trois organisations chargées de l’extermination cvi . Mais pour arrêter les indiscrétions, il fallait absolument changer les aliénés d’asiles. Rien de plus simple, la corporation du transport envoyait ses autobus dans les hospices. Les malades étaient transférés dans deux, parfois trois hôpitaux de triage et enfin dirigés sur le centre d’euthanasie choisi dans la région. Comment expliquer aux parents, aux amis ces transferts ?
— Les obligations de la guerre ! Les risques de bombardements.
Comment surtout avouer la disparition, la mort d’un aliéné à sa famille ? Dans chaque centre d’extermination un comité de médecins était en place pour « inventer » les causes de décès plausibles.
Quinze jours après le début de l’action, les asiles, les bureaux de police, les ministères, la moindre sacristie d’église ou de cathédrale, recevaient des dizaines et des dizaines de plaintes, des demandes d’explication. Il n’y a qu’aujourd’hui, plus de vingt-cinq ans après, que le monde est persuadé que l’Allemagne d’Hitler ignorait les camps de déportation et les opérations d’assainissement de la race.
— La cvii mort inattendue de mes deux sœurs dans l’espace de deux jours me paraît très peu probable… Personne ne peut me convaincre qu’il s’agit d’une coïncidence.
— J’ai cviii un fils atteint de schizophrénie.
Depuis quelques semaines, les malades de l’esprit sont enlevés des établissements où ils se trouvent, soi-disant en raison d’une évacuation
Weitere Kostenlose Bücher