Les Médecins Maudits
rappela à l’activité et me fit comparaître devant Himmler en 1941 ou janvier 1942. À ce moment je venais d’Italie où j’avais entrepris des recherches sur un vaccin contre le paludisme et il me demanda de continuer ces recherches à Dachau… Il n’était pas possible de refuser d’exécuter l’ordre de Himmler. Je commençai mes expériences sur les prisonniers du camp en février 1942 et je continuai jusqu’au 13 mars 1945… Je pense avoir expérimenté sur neuf cents à mille sujets… si j’avais refusé j’aurais peut-être été envoyé moi aussi dans un camp de concentration. J’essayais de découvrir une méthode qui aurait sauvé des millions d’hommes.
Un seul Allemand s’opposa par la suite aux travaux du « grand-père tranquille » de Dachau, l’inspecteur des camps de concentration :
— Schilling demandait constamment des prisonniers. Je protestai contre la fourniture de ces hommes car cela les empêchait de travailler.
Cette réclamation provoqua une intervention personnelle d’Himmler qui ordonna de « donner » des prisonniers à Schilling. Il devait en recevoir plus de mille. D’après le jugement du procès de Dachau, où Schilling fut condamné à mort, ces expériences entraînèrent la mort « directement de trente personnes » et « indirectement » de trois ou quatre cents.
Parmi les cobayes, de nombreux ecclésiastiques :
— Il xcv y avait plus de mille prêtres catholiques à Dachau à mon arrivée. J’ai été soumis trois fois à des morsures de moustiques du paludisme xcvi et une fois on m’a injecté du sang de paludéen. Cent prêtres furent contraints de subir ces expériences. Je protestai seulement à la fin de l’année 1943, car avant cette date, élever la voix aurait signifié ma condamnation à mort. Je présentai bientôt tous les signes de la maladie ainsi que mon frère, lui aussi prêtre. Le professeur Schilling nous traitait comme des chiens. Lorsque je m’insurgeai enfin, il m’arrêta :
— Dans ce camp, on parle allemand.
J’avais essayé de m’adresser à lui en français car je savais qu’il comprenait cette langue. J’enchaînais en allemand, il me coupa la parole :
— Vous n’avez pas le droit de vous plaindre, je vous signalerai au commandant du camp, et vous savez ce qui en résultera pour vous.
Fernandus Antonius Tijhuis, carmélite néerlandais assista à un sabotage de l’expérience. Malheureusement cette altération des résultats devait confirmer Schilling dans son erreur :
— Nous souffrions d’une façon insupportable. Au bout de quinze jours, l’un d’entre nous présenta une température élevée. Plus tard la mienne atteignit 40 à 41° et mon pouls 150 pulsations à la minute. Malgré six couvertures je frissonnais et transpirais terriblement. La fièvre revint tous les trois jours. Je devais avaler jusqu’à deux cents comprimés par jour, une invention du docteur Schilling. Je souffrais de maux de tête effroyables. Je ne pouvais plus dormir, même quand ma température tombait. Les Polonais de ma chambre qui avaient aussi été infectés avec le paludisme écrivirent chez eux. On leur envoya en secret de la quinine. Ils la prirent à l’insu des médecins.
La fièvre tomba et Schilling conclut à l’efficacité de son traitement. J’entendis dire plus tard qu’en raison des excellents résultats qu’il croyait avoir obtenus avec sa drogue, il la fit breveter et l’envoya aux troupes en Afrique où paraît-il elle provoqua de nombreux décès.
*
* *
De la longue cohorte des témoignages et des dépositions qui accusèrent Schilling, retenons en conclusion les observations d’un déporté. Étudiant en médecine luxembourgeois, Eugène Ost devint secrétaire à la station Malaria :
— L’idée dominante des travaux de Schilling était la création dans le corps humain d’une immunité suffisante pour le rendre inattaquable par le Plasmodium vivax xcvii , le seul employé à Dachau. Il conduisit deux grands groupes d’expériences. Dans la première série, il désirait démontrer l’existence d’anticorps spécifiques dans le sérum des malades ; dans la seconde, obtenir l’immunité.
Peut-être Schilling était-il simplement fou… Ne déclara-t-il pas à ses juges :
— Nous avons eu près de cent pour cent de guérisons.
Avant son exécution, il réclama vainement :
— Laissez-moi en vie quelques semaines encore. Je trouverai, je trouverai,
Weitere Kostenlose Bücher