Les murailles de feu
maintenant.
Alexandros fit de nouveau une grimace.
— Je suis navré pour ton père. Et Ariston.
Polynice se leva pour aller s’asseoir à un autre feu ; son regard alla à mon maître, puis de nouveau à Alexandros.
— Il y a quelque chose que je dois te dire. Quand Léonidas t’a choisi pour faire partie des Trois Cents, je suis allé le voir en privé et je me suis déclaré férocement hostile à ta désignation. Je pensais que tu ne te battrais pas.
— Je sais, dit Alexandros, d’une voix que sa mâchoire bloquée rendait rauque.
— J’avais tort, lui dit Polynice au bout d’un long moment.
Et il s’en fut.
Des ordres vinrent d’aller récupérer les cadavres dans la zone entre les deux armées. Le nom de Suicide figurait parmi ceux qui avaient été désignés pour cette tâche. Mais il avait les deux épaules bloquées et Alexandros se proposa pour prendre sa place.
— Le roi doit être maintenant informé de la mort de mon père et d’Ariston, dit-il à Dienekès, qui pouvait, en sa qualité de commandant de peloton, lui interdire de participer à cette mission. Léonidas essaiera de m’épargner au nom de ma famille. Il m’enverra dans une mission quelconque. Je ne veux pas l’offenser en refusant.
Je n’avais jamais vu à mon maître une expression aussi sinistre que celle qu’il avait à ce moment-là. Il indiqua un coin de terre détrempée près du feu.
— Je regardais ces myrmidons.
En effet, là, sur le sol, une guerre de fourmis faisait rage.
— Regarde ces champions, dit Dienekès, en indiquant des bataillons d’insectes qui se battaient sur les cadavres des leurs pour la carcasse desséchée d’un hanneton.
— Celui-ci, ce serait Achille. Et celui-là, ce doit être Hector. Notre bravoure n’est rien à côté de la leur. Regarde, ils évacuent même les cadavres des leurs, comme nous le faisons.
Sa voix était chargée de dégoût, mais aussi d’ironie.
— Crois-tu que les dieux nous regardent comme nous regardons ces insectes ? Est-ce que les immortels se lamentent sur nos morts autant que nous nous lamentons sur ces fourmis mortes ?
— Va dormir un peu, Dienekès, lui dit Alexandros.
— Oui, j’ai besoin de me refaire une jeunesse.
Il leva vers Alexandros l’œil qui lui restait. Là-bas, au-delà des redoutes du Mur, la seconde équipe des sentinelles recevait les ordres de relève de la précédente.
— Ton père était mon mentor, Alexandros. Je tenais le calice, la nuit où tu es né. Je me rappelle quand il t’a présenté aux Anciens, pour l’épreuve du dix, dix, un, pour voir si tu serais assez vigoureux pour être admis à vivre. Le magistrat t’a trempé dans un baquet de vin et tu en es sorti en braillant avec force et en agitant tes petits poings. « Donne l’enfant à Dienekès », a dit ton père à Paraleia. « Mon fils sera ton protégé, m’a dit Olympias. Tu l’instruiras, comme je t’ai instruit. »
De la main droite, Dienekès enfonça son épée dans la terre, annihilantl’ Iliade des fourmis.
— Maintenant, dormez, vous tous ! cria-t-il aux survivants de son peloton.
Et, en dépit des protestations qui voulaient qu’il prît lui aussi du repos, il se leva pour aller rejoindre Léonidas à son poste de commandement. Là, le roi et les autres commandants préparaient l’action du lendemain.
Je vis que la hanche de Dienekès lui causait un problème quand il marchait, et pas du côté de sa jambe boiteuse, mais de l’autre. Il dissimulait à ses soldats une nouvelle blessure, mais on la devinait à sa démarche bancale. Je me levai sur-le-champ pour aller à son aide.
4
La source qu’on appelait Skyllian et qui était consacrée à Perséphone et Déméter jaillissait au pied du Kallidromos, juste à l’arrière du poste de commandement de Léonidas. Mon maître s’arrêta à sa margelle de pierre et je l’y devançai. Ni ses ordres ni ses insultes ne me firent reculer. Je mis son bras autour de mon cou et pris une partie de son poids sur mon épaule.
— Je vais prendre de l’eau, dis-je.
Un groupe de soldats s’agitait à la source. Il y avait là le voyant Mégisthe. Et quelque chose allait de travers. Je m’approchai. Renommée pour ses alternances d’eau chaude et froide, cette source n’avait fourni que de l’eau douce et fraîche depuis l’arrivée des Alliés, une bénédiction divine pour la soif des guerriers. Et soudain elle était devenue chaude et puante.
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