Les murailles de feu
à les soigner, à leur porter du vin ou de l’eau et à les réconforter. Il distrayait les blessés et les estropiés avec les récits de ses voyages et mésaventures, séductions de ménagères, vols et raclées subis sur la route. De plus, il s’était équipé en ramassant des armes sur le terrain ; demain, il pourrait remplir une place vide. Beaucoup de servants avaient d’ailleurs pris la même décision sans y être contraints par leur maître.
Toute la nuit les feux grondèrent. Les marteaux des forgerons résonnèrent sans relâche, réparant les têtes de lances et les épées, battant le bronze pour rénover des revêtements de boucliers. Artisans et menuisiers rabotaient des bois de lance neufs et des armatures de boucliers pour le lendemain. Les alliés cuisinaient leur brouet sur des feux de flèches et de lances ennemies brisées. Considérant le sacrifice des défenseurs, les natifs d’Alpenoï, qui la veille vendaient leurs produits pour faire des bénéfices, offraient désormais leurs denrées pour rien et en faisaient même venir davantage par chariots.
Et les renforts ? Viendraient-ils ? Devinant le souci de l’armée, Léonidas esquiva les assemblées et conseils de guerre ; il circulait parmi les hommes, secondant les commandants. Il envoyait des messagers aux villes afin de demander de l’aide et il n’échappa à personne qu’il choisissait toujours les plus jeunes pour ces missions. Était-ce parce qu’ils couraient plus vite, ou bien pour épargner ceux qui avaient encore le plus d’années à vivre ?
Deux messagers vinrent de la flotte alliée ; ils appartenaient au vaisseau rapide qui servait de courrier entre la marine au-dessous et l’armée, là-haut. Les alliés avaient attaqué la flotte perse ce jour-là, mais sans effet, quoique sans dommages. Nos navires devaient garder les détroits, ou bien Xerxès pourrait débarquer son armée à l’arrière des défenseurs et les isoler ; et les troupes devaient tenir le défilé ou bien le Perse pourrait avancer son armée jusqu’à l’Euripe et piéger la flotte. Jusque-là, tous les deux tenaient bon.
Polynice vint s’asseoir quelques instants près d’un feu autour duquel notre peloton s’était réuni. Il avait retrouvé un gymnaste et entraîneur renommé, Milon, qu’il avait connu aux Jeux olympiques et celui-ci lui avait pansé la cuisse et donné une drogue pour tuer la douleur.
— As-tu acquis assez de gloire, Kallistos ? lui demanda Dienekès.
Polynice ne répondit que par un regard étonnamment triste. Il semblait contrit.
— Viens t’asseoir ici, lui dit Dienekès, indiquant une place sèche.
Autour du feu, les hommes dormaient comme des souches, les uns sur les autres ou se servant de leurs boucliers souillés comme oreillers. En face de Polynice, Alexandros fixait le feu du regard avec une déchirante absence. Sa mâchoire avait été cassée ; tout le côté droit de son visage était pourpre ; l’os était tenu en place par une lanière de cuir.
— Laisse-moi voir, dit Polynice.
Il trouva dans la trousse que lui avait donnée l’entraîneur un mélange cireux d’ambre et d’euphorbe, qu’on appelait un « déjeuner de boxeur », de l’espèce que les pugilistes utilisaient entre leurs combats pour immobiliser des dents et des os fracturés. Il le pétrit jusqu’à ce que la pâte fût devenue tiède et molle. Puis il se tourna vers l’entraîneur et lui dit :
— Tu le feras mieux que moi, Milon.
Polynice prit la main droite d’Alexandros dans la sienne, pour l’aider à maîtriser sa douleur.
— Tiens bon. Serre jusqu’à me briser les doigts.
L’entraîneur cracha dans la bouche d’Alexandros une purge de vin non coupé pour éliminer les caillots et, de ses doigts, il retira de la même bouche une grosse boule de mucus. Je tenais la tête d’Alexandros et lui, la main de Polynice. Dienekès observa l’entraîneur introduire un bâton d’ambre mou entre les mâchoires du garçon et presser doucement sur la mandibule fracturée.
— Compte lentement, dit l’entraîneur au patient. À cinquante, tu ne pourras plus mobiliser cette fracture avec un levier.
Alexandros relâcha la main de Polynice, qui le regarda d’un air chagriné.
— Pardonne-moi, Alexandros.
— Pourquoi ?
— Pour t’avoir cassé le nez.
Alexandros se mit à rire, mais sa mâchoire le fit grimacer.
— C’est ce que tu as de plus joli dans le visage,
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