Les murailles de feu
protéger le centre de l’Hellade contre un assaut maritime des Perses, en tout cas du nord-ouest.
Le père d’Alexandros, Olympias, avançait à la tête du régiment des Oliviers Sauvages ; Mérion, ancien prisonnier de guerre et jadis capitaine dans l’armée de Potidée, marchait à ses côtés en qualité de servant. Il portait une grande barbe d’un blanc de neige ; il s’en était autrefois servi pour cacher de petits cadeaux surprise pour Alexandros et ses sœurs, enfants ; il y cacha une fois de plus un cadeau pour Alexandros, qu’il lui tendit sur le chemin ; c’était un petit charme en forme de bouclier, qu’il serra dans le poing du garçon en accompagnant le geste d’un sourire.
Je me trouvais alors en compagnie d’Alexandros dans la foule rassemblée devant l’Hellénion ; il y avait là aussi d’autres garçons des pelotons d’entraînement, des femmes, des enfants, bref toute la ville massée sous les acacias et les cyprès. Nous chantions l’hymne à Castor tandis que les régiments défilaient le long de la rue du Départ, avec leurs boucliers et leurs lances sur l’épaule, les casques pendus au cou par-dessus les capes écarlates et les paquetages ; ceux-ci, les polemotbylakoi, n’étaient arborés que pour la parade ; car les guerriers s’en déchargeraient bientôt, comme du reste des armures, sur les épaules de leurs servants, quand ils se rangeraient en colonnes ; ils ne garderaient alors que leurs lances et leurs épées pour la longue marche poussiéreuse vers le nord.
Le beau visage cassé d’Alexandros resta figé comme un masque quand, suivi de son servant Suicide, Dienekès passa devant lui, à la tête du régiment Héraklès. Les animaux de faix, chargés des provisions de l’intendance, précédaient chaque régiment, sous la baguette agile des gardiens qui leur cinglaient la croupe. Puis vinrent les chariots d’armes, déjà nimbés par des nuages de poussière ; enfin roulèrent les grands chariots de victuailles, chargés de jarres d’huile et de vin, de sacs de figues, d’olives, de poireaux, d’oignons, de grenades, ainsi que de marmites et de louches pendues aux crochets et s’entrechoquant musicalement au pas des mules, comme rythmés par un métronome dans la cacophonie des claquements de fouets, des grincements des jantes et des essieux de roues et les braillements des cochers.
Les forges mobiles et les ateliers d’armements succédèrent aux provisions, avec leurs réserves de lames et de piques, les « pique-lézards », c’est-à-dire les longues lames de lances ; des hampes juste dégrossies de frêne et de cornouiller avaient été chargées sur les flancs du chariot. Coiffés de leur bonnet en peau de chien et le tablier leur battant le ventre, les armuriers hilotes couraient tout du long dans la poussière, les avant-bras zébrés par les cicatrices de la forge.
Les chèvres et les moutons sacrificiels fermaient la marche, leurs cornes attachées par des lanières que tiraient les gamins bergers hilotes sous le commandement de Dekton, dont la tunique blanche de servant d’autel était déjà souillée ; il tirait, lui, un âne chargé de grain et balançant deux cages de coqs de la victoire de part et d’autre de son échine. Il nous lança en passant un petit sourire fiérot qui contrastait avec sa démarche compassée.
Je dormais profondément cette nuit-là sur le sol du portique derrière l’éphorat, quand je fus secoué par une main. C’était Agathe, la jeune fille Spartiate qui avait confectionné pour Alexandros le charme de Polymnie.
— Lève-toi ! souffla-t-elle, ne voulant pas réveiller les autres garçons del’ agogê qui dormaient également là, ni alerter ceux qui montaient la garde de l’édifice.
Je clignai des yeux. Alexandros, qui s’était endormi près de moi, n’était plus là.
— Dépêche-toi !
La fille disparut dans l’obscurité. Je la suivis prestement par les rues et jusqu’au bosquet du myrte double qu’on appelait les Dioscures, juste à l’ouest du point de départ du Petit Anneau.
Alexandros était là. Il avait quitté son peloton sans moi, ce qui nous eût valu à tous deux une séance de fouet sans merci si nous avions été découverts. Il portait sa tunique noire d’éphèbe et son paquetage de combat, et il faisait face à un petit groupe : sa mère, la dame Paraleia, l’un de leurs hilotes domestiques et ses deux plus jeunes sœurs. Ils se querellaient.
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