Les murailles de feu
hommes répartis sur quatre rangs et fermant la droite. Le total, sans compter les servants armés qui faisaient fonction d’auxiliaires, dépassait quatre mille cinq cents hommes et s’étendait sur six cents pas d’un bout à l’autre.
De notre poste, Alexandros et moi voyions Dekton, aussi grand et musclé que n’importe quel guerrier, sans armes, dans sa tunique blanche de garçon d’autel, conduisant deux chèvres vers Léonidas ; le front toujours ceint de lauriers, celui-ci attendait avec les deux prêtres militaires, prêts à célébrer le sacrifice. Il fallait deux chèvres pour le cas où le sang de l’une d’elles ne s’écoulerait pas de façon favorable. À l’instar de celles de leurs commandants, les postures des soldats exprimaient une totale insouciance.
De l’autre côté, les Antirhioniens et leurs alliés syracusains s’étaient massés en nombre égal, mais comptant six rangs de boucliers en plus. Les épaves de navires s’étaient consumées ; leurs squelettes noircis répandaient sur le terrain une nappe de fumée. Derrière eux, les pierres fumantes du quai refroidissaient dans l’eau et les pilotis noircis du môle se dressaient comme des monuments funéraires au-dessus du port encombré d’autres vestiges calcinés. Une vapeur grisâtre noyait les contours de ce qui restait des quais.
Le vent rabattit la fumée sur l’ennemi. Déjà chargés d’armures dont ils n’avaient pas l’habitude, leurs genoux ployaient ; point n’était besoin d’être devin pour percevoir leur agitation.
— Regarde les pointes de leurs lances, dit Alexandros, indiquant les masses ennemies qui s’alignaient. Regarde-les trembler. Même les plumes sur leurs casques tremblent.
Dans les rangs spartiates, la forêt des lances se dressait comme une haie de pointes, avec chaque lance verticale, droite et ferme ; chez l’ennemi, les lances vacillaient et s’entrechoquaient comme des dents qui claquaient. À l’exception des Syracusains au centre, tous les rangs étaient en désordre, en première ligne comme dans le reste.
Alexandros recensa les hommes dans les bataillons syracusains ; il y décompta deux mille quatre cents boucliers, de treize à quinze cents mercenaires et trois mille miliciens d’Antirhion. Le nombre des ennemis était d’une fois et demie supérieur à celui des Spartiates ; ce n’était pas assez et l’ennemi le savait.
Puis la clameur s’éleva.
Dans les rangs ennemis, les plus braves, ou peut-être aussi les plus inquiets, commencèrent à frapper leurs boucliers de bronze avec les bois de leurs lances, pour créer le fracas de la forfanterie, qui se répercuta sur les collines alentour. D’autres ajoutèrent au tumulte en jetant leurs lances en l’air et en poussant des invocations aux dieux et des menaces et clameurs de colère. Le vacarme s’enfla quand les rangs de l’arrière se mirent de la partie en tapant aussi sur leurs boucliers. Les cinq mille cinq cents hommes du camp adverse poussèrent alors leur cri de guerre. Leur commandant pointa sa lance vers l’avant et les autres se pressèrent derrière lui pour l’assaut.
Les Lacédémoniens, eux, n’avaient ni bougé ni émis un son. Ils attendaient patiemment, drapés d’écarlate, ni sombres ni crispés, mais échangeant calmement des encouragements, parachevant les préparatifs de l’action qu’ils avaient répétés des centaines de fois à l’entraînement et des dizaines de fois à la guerre.
L’ennemi avança, accélérant le pas, puis trottant et enfin courant. Leur ligne s’étendait et s’ouvrait vers la droite, les hommes en proie à la peur se réfugiant, en effet, derrière le bouclier du voisin de droite et repoussant de la sorte l’ensemble de la ligne dans cette direction. On voyait déjà la ligne se disloquer, tandis que les plus courageux allaient de l’avant et que les poltrons se laissaient devancer.
Léonidas et les prêtres attendaient toujours, au premier rang.
L’ennemi n’avait pas encore traversé le ruisseau. Son général s’attendait à ce que les Spartiates se missent en marche et il avait donc formé ses lignes de telle sorte que la berge du ruisseau séparât les deux armées. Dans son esprit, en effet, les méandres du cours d’eau désorganiseraient les rangs lacédémoniens et les rendraient plus vulnérables au moment de l’attaque. Mais les Spartiates n’avaient toujours pas bronché. Quand les clameurs commencèrent dans son camp,
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