Les murailles de feu
Péloponnèse, ce sont des pâturages pour chèvres, répondit le général. Un désert de cailloux et de crottes de chèvres, sans richesses ni butin, ni même un port capable d’accueillir plus d’une douzaine de chalands à détritus. Ce n’est rien et cela ne contient rien dont Sa Majesté ait besoin.
— Excepté Sparte.
— Sparte ? reprit Mardonius avec dédain, et sans vivacité. C’est un village. Elle tiendrait tout entière, et encore, dans le jardin de Sa Majesté à Persépolis. C’est une bourgade de paysans, un tas de pierres. On n’y trouve ni temples, ni or, ni trésors de quelque valeur. C’est un potager de poireaux et d’oignons où la terre est si mince qu’on la traverse d’un coup de pied.
— Elle contient les Spartiates, dit Artémise.
— Que nous avons écrasés, répliqua Mardonius, et dont les forces de Sa Majesté ont tué le roi.
— Nous avons tué trois cents d’entre eux, insista Artémise, et il nous a fallu sacrifier pour cela deux millions d’hommes.
Ses propos énervèrent Mardonius à tel point qu’on eût cru qu’il allait bondir de son divan pour l’attaquer physiquement.
— Mes amis, mes amis, intervint Sa Majesté sur un ton conciliant, nous sommes réunis pour échanger des conseils et non pour nous quereller.
Mais la reine restait irritée.
— Qu’est-ce que tu as entre les jambes, Mardonius, un navet ? Tu parles comme un homme qui aurait les couilles comme des pois.
Mais elle réprima son agressivité pour interpeller Mardonius, avec clarté et concision.
— Les forces de Sa Majesté n’ont pas entrevu, je ne dis même pas affronté et défait, la force principale de l’armée Spartiate, qui est intacte à l’intérieur du Péloponnèse et qui est sans aucun doute fin prête et impatiente de se battre. Oui, nous avons tué un roi Spartiate. Mais, comme tu sais, ils en ont deux ; c’est Léotychide qui règne maintenant avec le fils de Léonidas, le jeune Pléistarque ; l’oncle de ce dernier, le régent Pausanias, commandera l’armée. Je le connais, il est en tous points égal à Léonidas en matière de courage et d’intelligence. La perte d’un roi n’a donc pas d’importance pour eux, elle ne fait que renforcer leur détermination et les excite à se montrer encore plus courageux, dans l’émulation de ce roi.
» Maintenant, poursuivit Artémise, considère leur nombre. Les pairs spartiates représentent à eux seuls huit mille hommes d’infanterie lourde. Ajoute les périèques et ce nombre est multiplié par cinq. Arme leurs hilotes comme ils le font sans nul doute, et le total augmente d’encore vingt mille hommes. Ajoute à cela les Corinthiens, les Tégéates, les Égéens, les Mantinéens, les Platéens, les Mégariens et les Argiens, qui seront contraints à l’alliance s’ils n’y ont pas déjà souscrit, sans parler des Athéniens que nous avons acculés au mur et dont le désespoir fouette l’ardeur.
— Les Athéniens ne sont plus que cendres, dit Mardonius, comme leur cité le sera demain avant le coucher du soleil.
Sa Majesté semblait hésiter entre deux points de vue, la prudence de son général et la passion de sa conseillère. Il se tourna vers Artémise.
— Dis-moi, crois-tu que je doive suivre l’avis de Mardonius et rentrer chez moi sur une litière ?
— Rien ne serait plus déplorable, Majesté, répondit-elle spontanément, ni moins conforme à Ta grandeur.
Elle se leva pour faire les cent pas sous les arceaux de la tente.
— Mardonius a énuméré les cités grecques qui ont offert des gages de soumission, et je reconnais qu’elles ne sont pas négligeables. Mais la fleur de l’Hellade est intacte. Nous avons à peine meurtri le nez des Spartiates, et bien que nous les ayons chassés de leurs terres, les Athéniens constituent une nation entière et redoutable. Leur marine compte deux cents vaisseaux, c’est de loin la plus importante de l’Hellade, et chaque vaisseau possède un équipage d’élite. Elle peut transporter les Athéniens n’importe où au monde, où ils s’établiront tels quels. Ils représentent pour Ta Majesté une puissance aussi menaçante que toujours. Nous n’avons aucunement diminué leur potentiel humain. Leur armée d’hoplites n’a pas été touchée et leurs chefs sont toujours respectés et soutenus par les citoyens. Nous nous ferions des illusions en sous-estimant ces hommes que Ta Majesté ne connaît pas, mais que je connais,
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