Les murailles de feu
l’expédition d’Antirhion, celle qu’Alexandros et moi, encore jeunes garçons, avions suivie.
Trois cents.
Ils ressemblaient à des petits pois sur le fond d’une jarre. Seules trois douzaines d’animaux de faix et de trait s’alignaient le long de la route. Il n’y avait, en effet, que huit chariots ; les animaux sacrificiels étaient menés par deux garçons chevriers qui paraissaient effrayés. Le ravitaillement avait été dépêché à l’avant, le long des étapes prévues pour un voyage de six jours. De plus, on avait supposé que les cités alliées fourniraient des provisions pendant le trajet, tandis que les éclaireurs rallieraient les divers contingents qui devaient compléter l’armée et la porter à un total de quatre mille hommes.
Un silence auguste régnait sur les sacrifices que Léonidas, en sa qualité de grand-prêtre, célébrait en guise d’adieux ; il était assisté d’Olympias et de Mégisthe, le voyant thébain qui était venu à Lacédémone de son propre gré et avec son fils. Mégisthe était venu non par seul amour de sa cité natale, mais de toute l’Hellade ; il voulait, sans aucune rétribution, participer au combat avec son talent divinatoire.
L’armée entière avait été réunie pour assister au départ ; elle ne portait pas les armes, cela était interdit pendant le festival d’Apollon, mais elle était quand même en tenue, avec les capes écarlates. Chaque guerrier des Trois Cents avait le front ceint de lauriers, portait son épée et son bouclier en garde, avec la cape rouge sur ses épaules. Son servant, près de lui, tenait sa lance jusqu’à ce que les sacrifices fussent achevés. C’était le mois de Karnéios (4) , la nouvelle année ayant commencé au milieu de l’été, comme dans le calendrier grec, et chaque soldat devait recevoir sa nouvelle cape, pour remplacer celle de l’année précédente, usée jusqu’à la trame après quatre saisons. Mais Léonidas avait ordonné que l’usage fût suspendu pour les Trois Cents, car ce serait gaspiller les deniers de la cité que de les consacrer à l’achat de vêtements qui ne seraient portés que bien peu de temps.
Comme l’avait annoncé Médon, Dienekès avait été choisi parmi les Trois Cents. À quarante-six ans, il était le quatrième par rang d’âge après Léonidas lui-même, qui avait plus de soixante ans, Olympias et Mégisthe. Dienekès commanderait la sélection du régiment Héraklès. Les frères Alphée et Maron, champions olympiques, avaient également été choisis ; ils se joindraient au détachement des Oliviers Sauvages, dont la position serait à la droite des chevaliers, au centre de la ligne. Combattant en paire, le pentathlète et le lutteur paraissaient invincibles, et leur désignation avait réconforté tous les cœurs. L’envoyé Aristodème avait également été choisi. Mais ce qui avait été le plus surprenant et controversé, ç’avait été la désignation d’Alexandros.
À vingt ans, il serait le plus jeune combattant de ligne et l’un des rares, une douzaine en tout avec son camarade d’agogê Ariston, qui n’avaient aucune expérience du combat. Le dicton lacédémonien du roseau à côté du tronc veut qu’une chaîne soit renforcée par un maillon de résistance inconnue ; ainsi chez le lutteur un jarret fragile l’incite-t-il à déployer tout son talent et chez l’orateur, le bégaiement le contraint-il à se montrer plus brillant. Les Trois Cents se battraient mieux, selon l’avis de Léonidas, s’ils ne le faisaient pas en tant que champions individuels, mais comme une armée associant les vieux et les jeunes, les expérimentés et les novices. Alexandros figurerait dans le peloton du régiment Héraklès, et lui et Dienekès se battraient donc en paire.
Alexandros et Olympias étaient les seuls père et fils choisis. Le jeune fils d’Alexandros, également nommé Olympias, leur survivrait et assurerait la pérennité de la lignée. Le spectacle était poignant : le long de la route du Départ, Agathe, l’épouse d’Alexandros, qui n’avait que dix-neuf ans, tenait son bébé dans les bras pour l’adieu. Paraleia, la mère d’Alexandros, qui m’avait si magistralement interrogé après Antirhion, se tenait près de sa bru, sous le même bosquet de myrtes dont nous étions partis, Alexandros et moi, pour aller à Antirhion, bien des années auparavant.
Les adieux furent échangés tandis que la troupe défilait
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