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Les murailles de feu

Les murailles de feu

Titel: Les murailles de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Pressfield
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solennellement devant la plate-forme de caillasse qu’on appelait les Forts, sous les autels des héros Lelex et Amphiarée, avant de prendre le virage vers la piste de course ; les pelotons de garçons s’étaient réunis au temple d’Athéna de la Juste Rétribution, l’Athéna « du tac au tac ». Je vis Polynice saluer ses trois garçons, dont les aînés, onze et neuf ans, appartenaient déjà à l ’agogê. Ils se redressèrent avec gravité, dans leurs capes noires ; ils eussent donné un bras pour se joindre à leur père.
    Dienekès suspendit son pas devant Aretê sur la route près de l’Hellénion, dont les porches étaient garnis de lauriers enrubannés de jaune et de bleu, pour les Karneia ; elle lui tendit Idotychide, le fils du Coq. Mon maître prit ses deux filles dans les bras pour les embrasser, puis étreignit Aretê, pour humer une dernière fois le parfum de ses cheveux.
    Deux jours auparavant, Aretê m’avait convoqué en privé, comme elle faisait toujours avant un départ. C’est la coutume, à Sparte, durant la semaine qui précède un départ en guerre, que les pairs passent un jour sans s’entraîner, dans leurs propriétés de campagne ; selon les lois de Lycurgue, ces propriétés ou kleroi reviennent à chaque guerrier et c’est d’elles qu’il tire les revenus qui lui sont nécessaires pour lui-même et sa famille, en tant que pair et citoyen. La tradition de ces journées de campagne dérive, pense-t-on, du besoin naturel qu’éprouve le guerrier de visiter le théâtre heureux de son enfance et peut-être de lui faire ses adieux. Mais le guerrier en profite également pour s’équiper et s’approvisionner dans les dépôts des kleroi. Chacune de ces journées est l’occasion d’une fête où le pair et ses serviteurs se retrouvent et font bombance d’un cœur léger. C’est là que nous nous rendîmes, dans la propriété dite Daphneion, plusieurs jours avant de partir pour les Murailles de Feu.
    Deux familles d’hilotes messéniens travaillaient sur ces terres, vingt-trois personnes en tout, y compris deux grands-mères jumelles, si vieilles qu’elles ne se rappelaient plus laquelle était l’autre, et Camérion, ancien servant du père de Dienekès, estropié du pied droit, perdu à la guerre, et à peine moins sénile. Ce contremaître édenté connaissait plus de jurons que le plus mal embouché des marins. Mais il avait insisté pour présider les cérémonies de cette journée, à la satisfaction générale, d’ailleurs.
    Ma femme et mes enfants travaillaient aussi à la ferme. Des voisins des fermes alentour venaient à l’occasion. L’on décernait des prix de fantaisie, l’on dansait en plein air sur l’aire de battage, près des bouquets de lauriers dont la ferme tirait son nom, et l’on organisait des jeux d’enfants. Puis à la fin de l’après-midi on commençait le banquet, où Dienekès lui-même, Aretê et leurs filles faisaient le service. L’on échangeait des cadeaux, l’on résolvait des querelles, l’on présentait des plaintes et des requêtes. Si un garçon de la ferme voulait se fiancer avec une belle de la ferme voisine, il en touchait un mot à Dienekès et lui demandait sa bénédiction.
    Il était inévitable que deux ou trois des jeunes hilotes les plus vigoureux fussent recrutés pour accompagner l’armée en qualité d’artisans, armuriers, servants ou lanceurs de javelines. Loin d’appréhender ces périls ou de les esquiver, les gaillards s’épanouissaient dans l’attention qu’ils leur valaient. Leurs amoureuses se pendaient à leurs bras et plus d’un projet de mariage fleurissait dans ces glorieuses après-midi campagnardes et les effusions que favorisait le vin.
    À l’heure où la joyeuse compagnie avait satisfait ses désirs de chère et de vin, comme dit Homère, on avait déposé aux pieds de Dienekès plus de blé, de fruits, de vin, de gâteaux et de fromages qu’il n’eût pu en emporter dans cent batailles. Il se retirait alors dans la cour de la ferme et, avant de se préparer au départ, il réglait autour d’une table, avec les aînés de la propriété, les affaires en suspens.
    Lorsque les hommes se furent réunis pour ces entretiens, Aretê me fit signe de la rejoindre en privé. Nous nous assîmes devant une table, dans la cuisine de la ferme. C’était un endroit lumineux et doux ; les derniers rayons de l’après-midi s’y déversaient par la porte ouverte. Le jeune Idotychide,

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