Les murailles de feu
aux hommes de reprendre leur travail. Tous les maçons dans les rangs alliés furent priés de se présenter, quelles que fussent leurs unités. Des pics, des pioches et des leviers furent ramassés et l’on en fit venir davantage du village d’Alpenoi et des environs. L’équipe de maçons se mit au travail sur la piste qui menait à Trachis. Les maçons reçurent l’ordre de détruire cette piste autant qu’ils le pouvaient et de graver dans la pierre avoisinante le message suivant :
Grecs enrôlés par Xerxès,
si vous êtes contraints de vous battre contre nous,
vos frères,
battez-vous mal.
Les anciens murs phocidiens étaient à peine plus que des décombres quand les Alliés étaient arrivés ; Léonidas demanda qu’on érigeât un vrai mur.
Une scène piquante se déroula quand le génie et les architectes se réunirent pour examiner le site et proposer des solutions architecturales. Des torches avaient été installées pour éclairer les lieux, on traça des plans sur le sol. Un capitaine corinthien proposa un plan grandeur nature et les discussions s’engagèrent entre les commandants. Il fallait, disait l’un, que le mur fût érigé au lieu le plus étroit du défilé ; non, suggéra un autre, il fallait le construire en retrait d’un tiers de stade, afin de créer un « triangle de la mort » entre les falaises et le mur ; un troisième avança alors qu’il fallait que le retrait fût du double, afin de donner à l’infanterie alliée assez d’espace pour se grouper et manœuvrer. Entre-temps, la troupe ne faisait rien et, comme les Grecs y sont enclins, prodiguait ses avis.
Léonidas prit un gros caillou et alla le poser à quelque distance. Puis il en plaça un autre à côté. Ses hommes regardaient déconcertés cet homme, qui avait quand même passé la soixantaine, aller prendre un troisième caillou pour le placer à côté des deux premiers. Quelqu’un cria :
— Combien de temps allez-vous rester à regarder, bande d’imbéciles ? Allez-vous attendre toute la nuit que le roi construise le mur lui-même ?
La troupe poussa un hourrah et se mit à l’œuvre. Léonidas ne s’arrêta pas pour autant, mais continua à travailler tandis que la masse de pierres commençait à prendre des allures de vraie fortification.
— Ce n’est pas la peine de faire compliqué, dit-il aux ouvriers, ce n’est pas un mur de pierres qui défendra l’Hellade, c’est un mur d’hommes.
Comme il l’avait fait dans toutes les autres batailles où j’avais eu l’honneur de l’observer, le roi se dévêtit pour travailler, sans esquiver aucune tâche, s’arrêtant de temps à autre pour interpeller par leurs noms ceux qu’il connaissait, mémorisant les noms et même les surnoms de ceux qu’il ne connaissait pas et parfois leur donnant une tape sur le dos, comme si c’étaient des camarades. Et les quelques mots qu’il leur disait se répétaient d’un bout à l’autre de la ligne avec une vitesse étonnante et donnaient du cœur à l’ouvrage.
L’heure vint de changer la première garde.
— Amenez-moi le vilain, dit Léonidas.
C’était un rôdeur de la région, qui s’était joint à la colonne pour gagner quelque obole et aider aux expéditions de reconnaissance. Deux Skirites l’amenèrent et, à ma surprise, je le reconnus. C’était le garçon de mon pays qui s’était donné le nom de Sphaireus, le « Joueur de Balle », ce sauvageon qui s’était réfugié dans les montagnes après la destruction de ma ville et qui jouait, en effet, à la balle avec une tête d’homme empaillée, pour affirmer son rang de grand voyou. Et c’était lui qui s’approchait maintenant du cercle de feu royal. Il n’avait plus les joues lisses, mais couturées et barbues.
J’approchai de lui et il me reconnut, ravi de me revoir et fort amusé par le destin qui nous réunissait, tous deux orphelins par le fer et le feu, au milieu des périls de l’Hellade. La perspective de la guerre lui fouettait le sang. Il se disposait à en exploiter les à-côtés et à piller victimes et vaincus. La guerre lui offrait l’occasion de faire de grandes affaires et il était évident qu’il me tenait pour rien, moi qui acceptais de servir sans une obole et sans promesse de gains.
— Qu’est-ce qui est arrivé à la mignonne avec laquelle tu traînais ? me demanda-t-il. Quel était donc son nom… ta cousine ?
— Elle est morte, dis-je, mentant, et tu la rejoindras sur
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