Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon

que les aides du comte Sturmion, mon seigneur, ont entrepris les inves≠
    tigations qui s'imposent. Nul doute qu'ils démasquent bientôt les coupables.
    Je le souhaite vivement.
    Justus marqua une courte pause avant de placer : Je sais qu'avant-hier tu as fait partir un courrier pour Aix.
    Les nouvelles vont vite, ici.
    Oh, il n'y a pas là grand mystère : un messager franchissant la porte nord avec une escorte ne passe pas inaperçu.
    Donc, tu as été tenu au courant.
    Je comprends que tu n'aies pu manquer de faire connaître à tes seigneurs l'événement qui nous a tous bouleversés.
    Comme avec Geroul, le Burgonde se contenta de répondre avec un sourire suave.
    -
    Mon cher cousin d'abord, toi maintenant, vous m'avez tous deux indiqué que les services du comte mettraient au jour rapidement les raisons, les circonstances et les auteurs de ce crime. que voulez-vous de plus ?
    -
    Ton cousin je ne sais, mais j'ai, moi, une requête.
    Doremus prit une pose commode pour écouter.
    Connaissant les exploits que tu as accomplis au service des missi dominici les plus renommés, je sou≠haite que tu sois en mesure de donner ton avis sur les recherches en cours.
    Il faudrait s'entendre ! Si les serviteurs du comte ont toutes les qualités requises pour élucider cette cause, je ne vois pas en quoi mon intervention pourrait être utile.
    Tout avis présente de l'utilité.
    Certes ! " Utile " remarque !
    Et quand il s'agit d'un homme aussi expert que toi...
    Le comte Sturmion approuve-t-il ta démarche?
    On n'a pas manqué de lui vanter tes mérites.
    A ce point? qui cela? Mais peu importe! Il
    s'agirait donc que j'intervienne? Le comte doit être soucieux cependant de conserver l'entière maîtrise de l'enquête.
    Il n'envisage nullement de l'abandonner mais
    plutôt, vois-tu, de t'y associer. Il est disposé à prêter une oreille attentive à tes observations et il saura y attacher du prix.
    Je vois. En somme, n'estimant pas nécessaire la présence de missionnaires du souverain, il verrait d'un bon úil que je lui apporte l'aide que je leur réserve d'habitude, ce qui, d'ailleurs, contribuerait à rendre leur venue superflue, n'est-ce pas?
    En quelque sorte.
    Eh bien, je vais y réfléchir.
    Doremus se leva pour signifier que l'entretien était terminé. Justus, qui espérait une réponse plus précise, hésita un instant sans cacher sa déception. Puis, s'étant enfin décidé, il se dirigea vers la porte après avoir échangé avec son hôte les compliments d'usage. Au moment o˘ il l'atteignait, l'assistant des missi lui lança :
    - En tout cas, tu pourras dire à ton seigneur que notre entrevue a été des plus instructives.
    Les obsèques de Laetitia furent célébrées trois jours : après la découverte de son corps en l'église épiscopale Saint-Just-et-Saint-Pasteur par l'archevêque Nebridius lui-même. Octavien, le beau-père de la défunte, conduisait le deuil. Dans l'assistance, aux côtés du comte Sturmion, figurait tout ce que Narbonne comptait de notables, non seulement les adjoints et assistants de celui-ci, les officiers de sa garde et les scabins1 (1. Magistrats professionnels.)
    de son tribunal mais aussi le chapitre de la cathédrale au complet, des abbés et des représentants des abbayes faisant partie de la province ecclésiastique de Narbonne, des magistrats municipaux, le maître de la corporation entouré de ses dignitaires, enfin tous ceux qui occupaient un rang éminent en raison de l'ancienneté de leur famille, de la puissance de leur gens ou, simplement, de l'étendue de leur fortune. Dra≠piers et tisserands, joailliers et orfèvres, grands pro≠priétaires terriens, armateurs, banquiers et négociants composaient une assistance de personnages gonflés de leur importance qui accordaient toute leur attention non au service funèbre mais à l'attitude des uns et des autres avec une curiosité avide.
    Au peuple des artisans de statut libre avaient été réservées dans la nef quelques places près du narthex ; mais la plupart durent attendre à
    l'extérieur de l'édifice la fin de la cérémonie. Ils purent alors admirer la sortie solennelle du clergé et des autorités précédant le convoi funèbre entouré par tous les parents de Laetitia. Celle-ci fut ensuite mise en terre dans le cimetière
    familial situé sur une butte non loin de la demeure domaniale.
    Pendant le service funèbre, Geroul, qui avait pris place à la droite de Doremus, ne manqua pas de dési≠gner à celui-ci