Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
à Mâcon, entourée de toutes les petites passions de province, elle demeura au-dessus de tout pour la noblesse et l'extrême délicatesse de son cœur comme par la distinction de son esprit et de ses manières. Sa vertu, je l'ai dit, n'avait rien de sévère et je n'en veux citer qu'un exemple : elle ne se permettait jamais la moindre médisance, et souffrait mort et passion quand elle entendait dire la plus petite chose qui pût blesser le prochain ; elle était gaie, cependant, et ne pouvait s'empêcher de sourire à un propos spirituel et quelque peu malin. Sa charité et sa gaieté se livraient alors un combat qui se lisait sur sa physionomie.
«Mme de Prat était de taille moyenne ; elle était mince, sa taille était souple, sa figure longue et un peu pâle, ses yeux très près du nez et petits, mais vifs et doux, son nez droit et ses lèvres fort minces. Son sourire était très gracieux. Je l'ai toujours vue mise de la même manière : elle ne portait que des robes de taffetas puce.»
À partir de 1820 et jusqu'à sa mort, Mme de Lamartine connut d'autres joies et d'autres chagrins : ce fut d'abord la gloire soudaine de son fils, son mariage inespéré, qui marque la fin de cette période de désœuvrement dont elle souffrit tant. «Il se dit plus heureux qu'un roi, écrira-t-elle un jour, et certes, ce n'est pas un langage auquel je suis accoutumée de sa part.» Elle avoue aussi avoir ressenti «un grand mouvement de vanité» en lisant dans les journaux le nom de son fils parmi les personnages illustres de passage à Aix. Puis ce fut la naissance de son petit-fils qui lui causa une immense joie : «On dit que cet enfant me ressemble, dira-t-elle avec orgueil ; alors, je me l'imagine comme était son père...».
Bientôt, pourtant, les soucis et les deuils l'accablèrent de nouveau. Son fils l'inquiétait toujours ; «cette ardeur, cette inquiétude de tête», comme elle appelle dans son simple langage la fièvre poétique qui le dévore, ne font que la désoler. Presque coup sur coup elle eut à pleurer la mort de deux de ses filles, Mme de Vignet et Mme de Montherot, et celle de son petit-fils dont elle avait accueilli la naissance avec tant de bonheur. Puis, ses deux belles-sœurs et ses deux beaux-frères disparurent à leur tour. De plus en plus elle se sentait isolée à Milly.
La dernière joie que connut cet admirable cœur de mère fut de paraître au bras de son fils à l'Abbaye-au-Bois, dans les salons de Mme Récamier où, en juillet 1829, Chateaubriand lut des fragments de son Moïse ; et voici ce qu'au retour elle écrivait dans son journal :
«Je suis de plus en plus fière et heureuse des admirables qualités d'Alphonse, malgré les inquiétudes si fondées que j'ai eues sur son compte. Sa réputation s'agrandit tous les jours, mais ce n'est pas de son esprit que je dois le glorifier davantage, c'est de la bonne direction qu'il lui a donnée, c'est de son excellent cœur, c'est de la beauté de son âme qui se manifeste dans toutes les occasions.» Ainsi, ce qui la frappa au cours de cette soirée, fut le murmure d'admiration sympathique qui avait accueilli l'entrée de son fils, et tout le reste lui parut secondaire :
«Il y avait beaucoup de gens célèbres que je fus bien aise de voir, et surtout M. de Chateaubriand lui-même que je ne connaissais pas ; il me parut vieux et faible, et les ambitions de ce monde sont bien mensongères.
Sa tragédie est de peu d'intérêt. Mme Récamier a encore de la grâce et quelques souvenirs de beauté.»
Comme par un étrange pressentiment de sa fin prochaine, les dernières lignes qu'elle ait tracées dans son journal semblent le clore tout naturellement. Le 22 octobre 1829 elle écrivait de Milly :
«Je suis seule ici, et cependant je ne m'ennuie pas trop. Je me reproche au contraire de prendre encore beaucoup trop d'intérêt aux choses de ce monde et d'avoir peut-être plus de dissipation d'esprit en vieillissant que dans ma jeunesse, et pourtant je vieillis beaucoup ! Que Dieu ait pitié de moi et me rende ce que je dois être. J'aime à lui dire un verset d'un psaume qui me touche : Seigneur, vous êtes mon espérance dès ma jeunesse, ne me rejettez pas dans le temps de ma vieillesse, ne m'abandonnez pas lorsque les forces me manqueront.»
Elle mourut moins d'un mois après, le 16 novembre, et cette femme angélique en qui tout était douceur et sentiment eut une fin atroce : elle fut brûlée vive dans un bain qu'elle
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