Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
avait marqué des traces ineffaçables dans l'âme de l'enfant, et l'on peut dire que le souffle chrétien qui anime toute sa poésie est l'œuvre absolue et entière de sa mère.
Elle conservera aussi une influence indiscutable sur ses actes. La vénération dont il l'entourait le fit souvent se courber, en pleine maturité, devant les avis qu'elle lui donnait [Le 23 février 1823, Mme de Lamartine note dans son journal : «Alphonse travaille à son nouveau volume de Méditations ; j'ai toujours peur qu'il ne profane son talent en parlant le langage des passions. Je lui ai écrit justement là-dessus.»
Mme de Lamartine venait en effet de lire dans la 9e édition des Méditations, parue un mois auparavant, une pièce nouvelle intitulée Philosophie, et dédiée au marquis de la Maisonfort. Aussitôt, elle écrivit à son fils la lettre suivante :
Ton père, mon cher Alphonse, me lit sa lettre. J'y vois avec plaisir qu'il te dit aussi mon opinion. Oui, cette pièce à M. de Maisonfort m'a beaucoup tourmentée. J'ai une si grande horreur de cette abominable philosophie que je frémis de tout ce qui en a l'apparence, venant de toi surtout. Tu es né pour être religieux, essentiellement religieux, ton talent n'est beau que parce qu'il vient de là. Ne le profane point, mon enfant ; que ta reconnaissance pour les grâces dont Dieu te comble rappelle toujours toutes tes pensées à lui, ne travaille que pour sa gloire, ne transige point avec l'esprit et les passions du monde, dédaigne ce moyen de succès, comme tu le fais sûrement dans ton âme.
Ô mon enfant, tu éteindrais dans la boue le brillant flambeau que le ciel t'a donné pour répandre la vraie lumière ; n'écris rien de ce que tu jugeras bien sévèrement un jour, et que tu voudras peut-être effacer au prix de tout ton sang, quand il ne sera plus temps.
Adieu, j'en ai assez dit. (Lettre inédite.)].
Tout ce qui touchait à son génie qu'elle voulait purement chrétien, l'affectait profondément : «Alphonse va faire imprimer des vers, écrit-elle le 10 mars 1825, c'est une suite de Childe-Harold, espèce de poème de lord Byron. Ce sujet m'inquiétait et m'inquiète encore beaucoup ; j'ai dit ce que je croyais devoir dire, car je ne suis pas là pour louer, mais pour avertir». Jamais, de l'avis de ceux qui les connurent tous deux, Lamartine n'eût osé commencer du vivant de sa mère sa politique d'opposition contre le gouvernement de Juillet car elle gardait aux d'Orléans un respect profond. En 1825, lors du retentissement causé par deux malencontreux vers du Chant du Sacre, elle écrira sévèrement à son fils et ne désarmera que devant les explications, assez confuses, semble-t-il, qu'il lui donna [Les deux vers incriminés visaient le duc d'Orléans à qui, au sacre de Reims, Lamartine faisait dire par Charles X :
Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère.
Le fils a racheté les fautes de son père.
Mme de Lamartine a consacré à cet incident deux pages de son journal, ce qui prouve à quel point elle l'eut à cœur. Malheureusement, Lamartine a déchiré et noirci le feuillet, dont quelques fragments seulement sont encore lisibles. On y voit que le poète donna pour excuse à sa mère, une «inadvertance», une «négligence poétique», explication qui satisfit peut-être Mme de Lamartine, mais parut insuffisante au duc d'Orléans, car sur sa demande les exemplaires du Chant du Sacre furent retirés du commerce, et il fallut procéder à un second tirage où les vers étaient corrigés et adoucis.].
De même, Mme Delahante est persuadée que Jocelyn et la Chute d'un Ange auraient subi d'importants remaniements si la mère du poète avait été là.
Tel est le milieu où va croître et se développer l'âme de l'enfant, plus souvent arrêtée et contrariée, à vrai dire, qu'encouragée et comprise. Chacune des figures que nous venons d'esquisser jouera un rôle dans sa jeunesse, influera plus ou moins sur sa pensée et sur ses actes. Mais conclure de là, comme il l'a laissé entendre lui-même, que certaines d'entre elles, «l'oncle terrible» surtout, par leur contrainte et leur mainmise sur son existence ont en quelque sorte retardé l'éclosion des Méditations serait une grave erreur. Lamartine fut maître de sa vie à dix-huit ans, et libre de l'organiser à sa guise pourvu qu'il prît une occupation. Sans doute, les Lamartine n'encourageront nullement sa vocation poétique et même la contrarieront parfois ; mais on
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