Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
journée, et en tire un enseignement pour l'avenir, sans pouvoir toutefois être jamais satisfaite de ses actes qu'elle trouve perpétuellement imparfaits et au-dessous de sa tâche. Chez elle, les accalmies sont rares et, même dans les périodes d'apaisement et d'équilibre, elle les environne toujours de l'inquiète restriction qu'elle est trop heureuse et ne mérite pas son bonheur.
À partir de 1810 sa vie change encore et commence alors pour elle une époque d'amertumes, de tristesses et de découragements encore plus profonds. Ses enfants la préoccupent : ses quatre filles, d'abord, qu'elle mariera toutes à leur temps et heureusement, mais surtout ce fils, son préféré, dont l'oisiveté, dit-elle, la «tue».
L'existence vide qu'il traîne de Mâcon à Paris, sa fièvre, sa sensibilité, qu'il tient d'elle au fond, sont autant de tortures pour ce cœur de mère qui ne demande qu'à être fière de son fils. Son orgueil maternel souffre de voir la vie de son enfant lui échapper, et elle pleure de n'être plus comme autrefois sa confidente, elle qui jadis écrivait à propos de lui : «La chose la plus importante dans l'éducation est d'inspirer une grande confiance à ses enfants et il faut pour cela les écouter toujours avec attention et l'air de l'intérêt, quelle que soit la chose dont ils veulent vous entretenir, parce qu'alors ils prennent l'habitude de vous parler de tout ce qui les occupe».
Aujourd'hui, il faut deviner plutôt qu'apprendre de lui, les pensées qui le hantent ; il faut aussi brûler en cachette ses mauvais livres, ses mauvais vers, qui rappellent le malheureux frère qui s'est perdu ainsi, voir grossir ses dettes qu'elle essaye d'éteindre en réduisant ses humbles dépenses. Car trop souvent elle sera forcée d'avoir recours à l'oncle et aux tantes qui la trouveront faible et le lui diront durement. Toutes les petites ruses qu'il mettra en œuvre pour lui cacher ses fredaines et ses aventures l'accableront sans lasser sa tendresse. «Il me tourmente bien par son caractère inquiet, dira-t-elle un jour, mais je tâche de le ramener tout doucement ; je supporte, c'est ma tâche actuelle.»
Malgré tout, sa bonté pour lui demeurera inépuisable, comme sa patience. En 1811, à la suite d'une amourette dont il s'exagéra la valeur, les Lamartine furent obligés de le faire voyager ; il se trouva un jour sans ressources à Livourne, ayant mangé en un mois ce qu'on lui avait donné pour six.
Les oncles et les tantes qui ont déjà ouvert leur bourse, restent sourds, cette fois, aux lettres suppliantes, et décident le retour. Mais il est si heureux là-bas ! ses lettres sont si joyeuses et si tendres ! «Il serait trop cruel, écrit-elle alors, de ne pas le laisser aller jusqu'à Rome dont il est si près», et elle lui envoie de quoi continuer son voyage.
Mme Delahante, enfant à cette époque, mais qui quarante ans plus tard ne pouvait rappeler son souvenir sans émotion, nous a laissé d'elle une image très simple et très émouvante :
«Mme de Prat, âgée de quarante-cinq ans, n'avait jamais été d'une beauté remarquable, mais le charme qui était en elle tenait à une grande distinction et à une expression très fine, très spirituelle, en même temps que très douce et d'une bonté parfaite. Pour faire le portrait de sa figure il faudrait, avant tout, faire le portrait de son âme, car c'était de l'âme que venait chez elle le charme extérieur. Je crois que toutes les vertus solides et les qualités aimables étaient réunies en cette charmante femme ; elle était pieuse comme un ange et d'une piété indulgente et éclairée qui vous gagnait.
«Elle était sans cesse occupée des pauvres, et elle les visitait soit à Mâcon, soit à Milly. Son zèle ne connaissait pas de bornes, et, quand l'argent lui manquait (ce qui lui arrivait parfois, car sa fortune était plus que médiocre, et sa famille très nombreuse), elle cherchait à le remplacer par de douces paroles, de bons soins et de bons conseils.
«Elle élevait elle-même ses cinq filles, elle s'occupait extrêmement de son mari et de son ménage, elle aimait beaucoup le monde, ou plutôt la société ; elle était aimable pour tous, et quoiqu'elle ne pût recevoir qu'avec la plus extrême simplicité, elle fut toujours à la tête de la société de Mâcon et y exerça une influence qui ne fut pas entièrement remplacée.
«Son esprit était à la fois fin et élevé et quoiqu'elle eût passé sa vie
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