Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
l'incendie pourrait gagner le village. Les choses restèrent longtemps en l'état, et la Terreur vint achever la ruine du domaine.
Au moment où le chevalier s'en rendit acquéreur, la maison était inhabitable.
La famille de Saint-Point posséda le château—dont les seigneurs se qualifiaient marquis—du milieu du xiie siècle à la fin du xvie siècle. L'un de ses membres, Guillaume de Saint-Point, seigneur de la Foretz, de Chanvantet de Clermatin, a laissé quelque trace dans l'histoire en jouant un rôle assez important pendant les guerres de religion où il se distingua par ses cruautés. En 1557, il fut élu capitaine du ban et arrière-ban de la noblesse du bailliage, et combattit dans les armées catholiques ; mais le meilleur de sa célébrité lui vient encore des farces de Saint-Point, jeu qui consistait à noyer en Saône ses prisonniers huguenots et où il conviait en grande pompe tous ses vassaux et amis. Il finit assassiné par un jeune gentilhomme mâconnais dont il avait dévasté les biens, et ses aventures sont relatées dans un ténébreux roman dédié à Lamartine et qui fut accueilli avec succès en 1845, car le public y trouvait une occasion de pénétrer dans ce fameux château de Saint-Point rendu populaire par la gloire de son propriétaire [Guillaume de Saint-Point, par J.-M. Grosset (3 vol. in-8).].
Sa fille naturelle et légitimée épousa en 1564 Antoine de la Tour de Saint-Vidal qui, comme son beau-frère, fut un des capitaines catholiques les plus acharnés contre les réformés ; il eut la même fin tragique et fut tué en duel. Sa veuve se remaria en 1596 et à sa mort légua ses biens à son petit-fils, Claude de Rochefort d'Ally ; il épousa Anne de Lucinge et fut gouverneur de Saint-Jean de Losne qu'il défendit héroïquement contre les Impériaux en 1663.
Saint-Point demeura propriété des Rochefort jusqu'au milieu du xviiie siècle ; à cette époque il passa par mariage aux mains de Charles Testu de Balincourt qui, le 29 avril 1776, céda le marquisat et ses dépendances à Henry de Castellane, chevalier d'honneur de madame Sophie.
Son fils en hérita en 1789 ; il s'occupa un moment de politique et ce fut lui qui à la journée du 13 vendémiaire fit battre le rappel pour marcher contre la Convention. Condamné à mort par contumace, il prit la fuite, mais revint l'année suivante se constituer prisonnier et fut acquitté. À moitié ruiné, il allait vendre Saint-Point en 1800 à des marchands de biens, lorsqu'à la requête d'un créancier on procéda à une adjudication publique et, le 10 février 1801, Pierre de Lamartine s'en rendit acquéreur au prix de 80 000 francs. L'opération fut très fructueuse pour lui car les bois de Saint-Point n'avaient pas été taillés depuis un siècle : avec une coupe il rentra dans ses débours. Quant au vignoble, il était peu important et abandonné depuis longtemps.
À ce moment, le château tombait en ruines. Mme de Lamartine note dans son journal que c'est «un bon bien et un pays agréable» ; «c'est fort dévasté, ajoute-t-elle, et rien ne peut y flatter l'amour-propre».
Au début, les Lamartine n'y feront que de rares et courts séjours ; plus tard, ils y passeront quelques semaines, en été ou au moment des vendanges, lorsque les réparations indispensables auront été effectuées peu à peu. Mais la mère s'y rendra souvent dans la journée avec ses enfants, en char à bancs ou à âne, au long des petits sentiers qui dévalent des coteaux et raccourcissent le chemin.
Dans la solitude de Milly et le délabrement de Saint-Point, la jeune femme connut tout d'abord quelques heures de découragement et d'ennui. Très vite, pourtant, et comme toujours en luttant contre elle même, elle s'habitua à cette vie nouvelle. Ses devoirs de mère vont l'absorber entièrement et, la première hésitation passée, elle classera ses occupations, se dévouera entièrement à son ménage et à l'éducation de ses enfants.
La vie à Milly était plus que simple, car les ressources, uniquement fondées sur les vignes, étaient modestes.
En 1801, Mme de Lamartine qui assumait toutes les charges, encaissait les revenus et donnait 1600 francs par an à son mari ; en 1805, celui-ci reprit la direction du ménage : il alloua à sa femme 600 francs par mois, douze pièces de vin et les petites réserves de Milly et de Saint-Point. Avec cette somme elle assurait la vie quotidienne, payait l'entretien et l'éducation de ses filles
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