Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
tandis que le chevalier s'occupait de la pension de leur fils et des charges générales. Leur fortune, on le voit, était modeste et on peut l'évaluer à une quinzaine de mille francs de rente.
Le matin, on se levait à l'aube, le père partait dans ses vignes, ou chassait ; sa femme commandait leurs huit vignerons et domestiques, surveillait la maison, la lessive, la basse-cour, le potager, et trouvait encore quelques instants pour commencer la première éducation de ses enfants.
La journée, écrit-elle, n'est jamais assez longue pour ce que je voudrais faire, et mes forces sont épuisées avant que mon goût pour les occupations le soit. Je vais tous les jours à la messe de sept heures avec mes enfants ; nous déjeunons ensuite, puis quelques soins de ménage, puis le travail en lisant tour à tour la Bible, une leçon de grammaire et la lecture de l'histoire de France : tout cela nous conduit jusqu'au dîner sans que personne ait trouvé le temps long. Après le dîner, je donne récréation une heure. Nous reprenons ensuite l'ouvrage avec une lecture agréable que je tâche toujours de rendre instructive, jusqu'au goûter, après lequel on apprend par cœur des vers, de l'histoire de France et de la grammaire. Puis nous nous promenons jusqu'à la nuit et à la veillée pendant que je joue aux échecs avec mon mari, les enfants s'amusent et apprennent quelques vers des fables de Lafontaine.
C'est toujours le plan ordinaire de notre journée à quelques différences près.
Lorsque l'année avait été bonne, les Lamartine allaient passer l'hiver à Mâcon : au début, ce fut dans une maison louée ; en 1805, le chevalier, sur les instances de sa femme, se décida à l'acheter et la paya 29 615 francs à M. Barthelot d'Ozenay un de leurs amis. Elle portait le numéro 15 de la rue de l'Église : c'est là qu'à partir de 1805 ils passeront tous les hivers. À côté de la poétique description qu'en a faite Lamartine, il faut rapprocher celle de Mme Delahante, plus véridique : «L'entrée, dit-elle, ressemblait fort à une cave et tout y était plus que simple et fort triste ; nous avons fait bien des parties dans son jardin qui était affreux, mais dont les hautes murailles étaient tapissées de roses blanches».
Quelques voisins agréables animaient un peu cette vie solitaire. C'étaient les de Rambuteau, très liés au xviiie siècle avec les Lamartine et dont deux membres signèrent à l'acte de baptême du poète ; le futur préfet de la Seine, Claude-Philibert, tout en étant un peu plus âgé que lui puisqu'il était né en 1781, fut son ami de jeunesse. Il avait épousé Mlle de Narbonne, fille du comte Louis, ministre de la guerre à la fin du règne de Louis XVI, et devint plus tard très en faveur auprès de Napoléon. Leur grand luxe, leur fastueuse résidence de Champgrenon n'allaient pas parfois sans écraser un peu la pauvre Mme de Lamartine qui écrivait un jour : «Après dîner Mme de Rambuteau est venue avec ses enfants faire une visite ; elle passe beaucoup de temps à Paris, elle a beaucoup de fortune et un grand train. Quand je vis son beau carrosse, ajoute-t-elle mélancoliquement, ses superbes chevaux auprès de mon modeste équipage, j'eus un petit moment de honte que je me reproche...»
À Bussière et à Milly, il y avait l'abbé Dumont, grand ami du chevalier et qui chassait avec lui ; les du Sordet ; M. de Valmont, vieux gentilhomme courtois et lettré, et l'excellent M. de Vaudran : emprisonné à Lyon pendant la Terreur il avait été rendu à la liberté après Thermidor. Il s'établit alors à Bussière avec sa mère et ses sœurs et y demeura jusqu'à sa mort survenue en 1820. C'était, paraît-il, un érudit et brillant causeur qui charmait l'enfant par de belles histoires et lui donna ses premières leçons de dessin et d'écriture. Plus tard, il le patronna à l'Académie de Mâcon et s'intéressa à ses premiers essais poétiques, mais mourut sans connaître la gloire de son ancien élève qu'il aimait beaucoup. Il était le grand-oncle de Léon Bruys d'Ouilly, l'ami d'enfance à qui sont dédiés les Recueillements, romanesque et beau garçon qui succéda à lord Byron dans le cœur de la comtesse Guccioli, pour laquelle il se ruina complètement [Cf., sur la famille Bruys, Ann. de l'Académie de Mâcon, 3e série, vol. IX : la Famille Bruys, par Paul Maritain.].
Parfois on descendait en char à bœufs, raconte Mme de Lamartine, la petite route en lacets
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