Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
empreinte de mélancolie dans le génie français !
Que l'on songe au lait aigri de larmes que je reçus moi-même de ma mère pendant que la famille entière était dans une captivité qui ne s'ouvrait que pour la mort !» Il n'y a pas que de l'emphase dans cette lyrique exclamation : les premières impressions de l'enfant ne furent que tristesses et craintes, et il sera longtemps sans connaître la douceur et l'habitude d'un foyer. Plus tard, vers huit ans, il n'aura pas d'autres camarades à Milly que les petits paysans du village, dont Mme de Lamartine redoutera un peu la société. Elle s'efforcera alors de le garder le plus possible près d'elle, et veillera sur lui avec une inquiète sollicitude. Son âme mélancolique influera peu à peu sur celle de l'enfant dont elle essayera encore d'atténuer le caractère vif et bruyant, d'après elle, et qui déjà commençait à la tourmenter pour l'avenir.
TROISIÈME PARTIE - LES ANNÉES D'ÉTUDE - CHAPITRE I - L'ABBÉ DUMONT
[Sources et bibliographie de la troisième partie : Journal intime (passim), Archives de Saint-Point.—Pour l'abbé Dumont : Archives municipales de Bussières et de Pierreclos, Archives départementales de Saône-et-Loire, et les notes inédites de M. Paul Maritain conservées aujourd'hui à l'Académie de Mâcon : nous en devons la communication à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de cette société, que nous remercions ici de son obligeance.
Pour le collège de Belley : le Séjour de Lamartine à Belley, par M. Dejey (3e éd., complétée, 1901). Histoire du collège-séminaire de Belley, par l'abbé Rochet (Lyon, 1898, in-8).—Les Vies des Pères Varin, Debrosses et Jenesseaux, par le père Guidée (Paris, 1859-60).]
Lorsqu'à l'automne de 1797 les Lamartine vinrent s'établir à Milly, on imagine qu'au milieu de leurs épreuves la première éducation de l'enfant avait été très négligée. Mais les écoles manquaient dans cette campagne perdue d'où l'on ne pouvait chaque matin le conduire à Mâcon. Mme de Lamartine, malgré le petit programme élaboré par elle, n'avait pas, à l'entendre, beaucoup de temps pour l'appliquer rigoureusement. D'ailleurs elle avoue elle-même qu'une fois passée l'ardeur des débuts elle finit vite par en ressentir quelque lassitude et une certaine appréhension. Son désir perpétuel de trouver ce qu'elle nomme «le juste milieu» lui faisait craindre à la fois de montrer trop de mansuétude ou trop de sévérité. Elle se décida alors à chercher autre chose ; conservant pour sa part les lectures à haute voix elle confia son fils au curé de Bussière, petit village distant de quelques kilomètres, et dont dépendait Milly où le culte interrompu en 1792 n'avait pas été rétabli.
L'abbé Dumont a laissé sur son élève une impression profonde et qui ne s'affaiblit jamais.
Plus tard Lamartine créera autour de son ancien maître une atmosphère de légende et dans les Nouvelles Confidences, soulèvera un coin du voile : on sut alors que sa vie avait servi de thème original au poème de Jocelyn, mais comme les deux récits n'allaient pas sans se contredire fréquemment, il devenait difficile de démêler quelle était la part de l'imagination et celle de la réalité. Pourtant quelques documents nouveaux, s'ils ne percent pas complètement le mystère de son existence, l'éclairent tout au moins davantage et sur bien des points confirment le récit du poète.
D'après Lamartine, l'abbé Dumont était né d'une famille plébéienne dans la maison même de l'ancien curé de Bussière, François-Antoine Destre. Au cours d'une visite au presbytère, l'évêque de Mâcon avait été frappé de la très belle figure et des aptitudes remarquables de l'enfant ; il l'avait alors pris à l'évêché, en qualité de secrétaire. Survint la Révolution, qui le surprit au moment où il allait prononcer ses vœux ; mais quelques pages plus loin Lamartine contredit cette affirmation et nous apprend qu'il fut jeté malgré lui dans le sacerdoce, la veille même du jour où ce sacerdoce allait être ruiné en France. On verra plus loin qu'aucune de ces deux versions n'est exacte. Au rétablissement du culte, Dumont fut nommé curé de Bussière et c'est à cette époque que Lamartine le connut.
Le jeune prêtre n'avait pas la vocation ; tous ses goûts étaient ceux d'un gentilhomme, toutes ses habitudes étaient celles d'un soldat. Beau de visage, grand de taille, fier d'attitude, grave et
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