Les pièges du désir

concentration de M. Vernon. Ne vous en êtes-vous pas rendu compte ? 
    Le visage de Tranville s’empourpra. Changeant de tactique, elle arbora un sourire charmeur. 
    – Ne soyez pas fâché, milord. Toute personne entrant à ce moment-là aurait produit le même effet. 
    Elle reprit son bras et ils se remirent à marcher. 
    – Je sais combien vous souhaitez que ce portrait assure le succès de notre pièce. Mais pour atteindre ce but, l’artiste a besoin d’un minimum d’intimité avec le modèle. 
    Elle sentit le bras du général se raidir. 
    – Est-ce Jack qui vous a dit cela ? 
    Ariana eut un rire contraint. 
    – Bien sûr que non, il n’en a pas eu besoin. Il suffit d’avoir un peu posé pour savoir cela. 
    Sa propre expérience ne datait que d’un jour, mais elle soupçonnait Tranville d’être encore plus ignorant qu’elle en la matière. 
    Une jolie fille marchait sur le trottoir opposé, au bras d’un jeune homme séduisant qui la buvait des yeux. Ariana ne put s’empêcher de les envier. 
    – Je devrais au moins vous escorter jusqu’à son atelier, insista Tranville. 
    Pourquoi fallait-il qu’elle endure la compagnie de cet homme, à cause du pouvoir qu’il détenait au théâtre ? 
    Elle le regarda, la mort dans l’âme. 
    – Très bien. Vous pouvez venir me chercher un quart d’heure avant la séance. 
    Et comme il souriait jusqu’aux oreilles : 
    – Mais je n’ai pas besoin de vous pour le retour, le prévint-elle en agitant un doigt sous son nez. Nous ne pouvons pas savoir à quelle heure nous finirons. 
    Il fronça les sourcils. 
    – S’il est tard, il ne serait pas prudent pour une jeune femme comme vous de… 
    – S’il est tard, je demanderai à M. Vernon de me raccompagner, coupa-t–elle. 
    Elle ajouta d’un ton négligent, comme si ce n’était pas son plus cher désir : 
    – Il peut bien faire cela, vous devez le payer assez cher. 
    Tranville lui caressa la paume avec son pouce. 
    – D’accord, je ferai selon votre souhait. 
    Elle lui retira sa main. Enfin, ils étaient arrivés à sa porte ! Elle le salua d’une révérence. 
    – Bonsoir, monsieur. 
    De toute évidence, il espérait qu’elle l’inviterait à entrer. Il voulut lui reprendre la main, mais elle se hâta d’ouvrir la porte. 
    – Attendez ! s’écria-t–il en agrippant le vantail. Vous verrai-je au foyer, ce soir ? 
    – Peut-être… 
    Et plaquant un sourire sur son visage, elle s’empressa de disparaître. 
    ***
    Jack refusa une fois de plus l’invitation à dîner de sa mère. Après avoir été témoin du comportement de Tranville envers Ariana, il se sentait incapable de s’asseoir à la table de Mary Vernon. Il passa une partie de la soirée à examiner les dessins qu’il avait faits d’Ariana, en s’efforçant de ne voir dans ce travail qu’un défi artistique. 
    Finalement, il reposa les croquis et enfila son manteau. Il avait grand besoin d’un bol d’air frais pour calmer ses ardeurs ! 
    La tête baissée pour lutter contre le vent, il traversa le Strand vers Covent Garden, évitant soigneusement Henrietta Street. L’image de la chambre d’Ariana était encore trop présente à son esprit, et il craignait que Tranville ne soit chez elle. Tout ce qu’il désirait pour l’heure, c’était manger une tranche de gigot arrosé d’ale, dans quelque taverne bruyante où il pourrait côtoyer des gens comme tout le monde goûtant aux plaisirs ordinaires de la vie. 
    Ce fut dans Bow Street qu’il trouva ce qu’il cherchait. Assis à une petite table contre un mur, il ne tarda pas à lier connaissance avec le client voisin, qui engagea la conversation avec lui. L’homme se révéla être un acteur, ce qui n’était pas surprenant, Drury Lane n’étant qu’à quelques rues de là. 
    – Je joue avec Kean et l’incomparable Daphné Blane. Vous devriez venir voir la pièce. Je vous ferai entrer sans problème. 
    Cela signifiait revoir Ariana en Juliette. 
    – Volontiers, fit Jack. 
    Personne ne lui posa de questions lorsqu’il pénétra dans le théâtre avec son compagnon. L’homme le plaça dans les coulisses, à un endroit où on avait une excellente vue sur la scène. Avant que la représentation ne commence, Jack examina les alentours, espérant entrevoir Ariana. Il l’aperçut dans la coulisse opposée, mais elle ne le vit pas. 
    Le nouvel ami de Jack interprétait Abraham, un serviteur des Montaigu