Les pièges du désir
soldats maintenant la Française, les pleurs du gamin qui leur criait d’arrêter et le visage d’Edwin Tranville, avec son sourire d’ivrogne.
– Allons, viens ! lui dit le spectre. Il y en aura pour toi aussi !
Jack tituba dans sa chambre, tira le pot de nuit et se mit à vomir, comme s’il exorcisait son angoisse.
***
Il se réveilla le lendemain dans un sursaut. Un goût amer lui empâtait la bouche et la douleur cognait dans ses tempes.
Il se leva, encore vêtu de ses habits de la veille, et alla nettoyer le pot. Puis il tira de l’eau fraîche dans un large broc et procéda à ses ablutions, malgré son vertige et les soubresauts de son estomac
Après s’être changé, il se rendit à pied chez sa mère pour s’inviter au petit déjeuner. Peut-être plusieurs tasses de thé le débarrasseraient-elles enfin de ces coups de marteau dans son crâne.
Wilson le fit entrer et il se dirigea tout droit vers la salle à manger, certain d’y trouver la table déjà mise. Mais il ne s’attendait certes pas au spectacle qui s’offrit à sa vue. Tranquillement attablé, Tranville buvait son café d’une main, tout en lisant le journal de l’autre.
– Ah, Jack ! fit-il en le saluant d’un hochement de tête.
Sans répondre, Jack s’agrippa au chambranle, réprimant la colère qui montait en lui. Tranville ricana et reprit sa lecture.
Tourner les talons et s’en aller, c’eût été une façon de se laisser intimider. Sans un mot, Jack alla explorer la desserte, où il trouva un assortiment plus généreux que d’ordinaire de hareng fumé et de tranches de jambon, en plus des œufs et du pain habituels. L’odeur des harengs lui remua l’estomac presque aussi violemment que la présence de Tranville. Il choisit deux œufs et des tranches de pain, qu’il tartina de beurre et de confiture de framboise. Puis il prit la chaise la plus éloignée de Tranville et se versa une tasse de thé.
– Vous vous demandez si j’ai passé la nuit ici, hein ?
Tranville porta une fourchetée de hareng à sa bouche.
– Eh bien, oui. Une excellente nuit, d’ailleurs.
Jack le fusilla du regard, mais refusa de répondre à la provocation.
– J’ai pris en compte la présence de votre sœur, si c’est cela qui vous inquiète, reprit le général en portant sa tasse à ses lèvres. Toutefois j’estime qu’elle a l’âge de savoir ce qu’est la vie. L’âge de trouver un mari, ajouta-t–il avec un nouveau rire. Du reste, elle était déjà couchée quand je suis arrivé. Je suis venu après la fin de la pièce.
Après la pièce ? Il n’avait donc pas passé la nuit avec Ariana ? Malgré sa résolution de la traiter en simple cliente, Jack exhala un soupir de soulagement. Mais la colère reprit vite le dessus, lorsqu’il songea que Tranville était allé chez sa mère à la place.
– Il vous arrive de prendre en considération les sentiments d’autrui ? Voilà qui m’étonne ! maugréa-t–il.
Tranville eut l’air furieux.
– Votre mère n’en fait pas une histoire, elle !
Jack soutint son regard, le poing crispé sur le bord de la table.
– Surveillez votre langage !
D’accord, il avait promis à sa mère d’être accommodant. Mais il y avait tout de même des limites.
Tranville eut un geste apaisant.
– Allons, allons… Vous savez que j’ai la plus grande estime pour votre mère.
Les yeux de Jack lancèrent des éclairs.
– De l’estime ?
Le général baissa la voix.
– Ce qui se passe entre votre mère et moi n’est pas votre affaire. Vous feriez mieux de ne pas l’oublier.
Jack serra les dents. C’était presque exactement les termes que sa mère avait employés avec lui.
– Sachez rester à votre place, mon garçon ! reprit Tranville en frappant la table de sa paume. Ne questionnez pas un pair du royaume sur sa vie privée.
Jack se pencha en avant.
– Je ne tolérerai pas que vous fassiez du mal à ma mère, entendez-vous ?
Tranville prit un air débonnaire.
– Votre mère comprend mes besoins, mon garçon. Cela devrait vous suffire.
Il enfourna un morceau de jambon et se mit à mastiquer. Le regard de Jack ne cilla pas.
– Sait-elle que vous couchez avec miss Blane ?
Tranville eut un demi-sourire et leva l’index en l’air.
– Ah, mais je ne couche pas avec miss Blane ! Du moins pas encore.
Il prit une gorgée de thé.
– Sinon, je ne
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